Equinoxes de l'amourvoici que vint un vent porteur de neige
pour enterrer ma mémoire en un cerisier
tu dispersas la paille sur mon visage
et sur l'écorce des prairies
je lisais ton attente
mais il n'y eut que le silence d'un vin fragile
enfant sur la grève
tu traças la silhouette verte de la mer
pour y confier quel secret
les cimetières de braises parlèrent une noce
et le germe du blé célébrait mon silence
tu fis cuire un poisson une olive dans la hutte
puis vint l'été qui menaça la falaise
je plaçai une parure d'algues sur tes seins
la pluie m'offrit ta confiance
et lorsque je partis jusqu'au fleuve
tu pleuras
mais j'attendais la nuit
pour t'initier aux rites de l'ivoire
les épaves grincèrent
le gel sécha sur l'herbe
et huit saisons d'exorcisme prirent fin
tu parlas dans un verger
inventas un charme
pour identifier la mutation
et l'union effaça l'hiver sur le sable
puis je nommai ta langue
voici que vint l'augure qui trancha la parole
les rites inscrits sur l'herbage
dénouèrent tes secrets de leur folie
mais j'attendais la nuit
pour ne faire plus qu'un
au jour les signes te devinrent nouveaux
et tu fus en moi
et ton sommeil répandit une saveur de craie
que la craie devienne ma soif
que ton langage s'interpose
sur le revers du monde
mais bientôt la marée enseignée se retira
tu découvris les limites de l'orage
que le sel fermente les sables
et je pourrais prévoir les songes que tu inversais
tel un grillon
mon histoire se voilait de chiendent
que le silence se brise d'une pensée
et que la parole renaisse
intacte dans la brume
par l'accueil d'une joie
lorsque sur toi se fit un signe
j'évitais d'enjamber le cyprès mort
et les luzernes me désignèrent
celui qui transmue le sortilège
de ce jour le lin et la vigne
te furent sacrés en un lien
je nommai l'orme et la glaise
qui transhumaient
je t'offris un paysage
où les cimes aussi se taisaient
cela survint quand les pluies
traversèrent les garrigues
et tu solidifias les os
et dessinas la neige
j'évoquais les promesses que tu cachais
tes peupliers
tes fantômes de myrte
je muais ton chant sur le caractère des arbres
et plus haut l'alpage rougit
je savais des plaintes et des fourmis qui mentaient
la terre durcit de nouveau
et rien n'avait encore permis d'inventer un langage
nous restions des jours à regarder la mer et les forêts
où se passaient des choses étranges
il y eut ensuite l'apparition de la peur
qu'ici s'écrive ma naissance
et s'écrive la mémoire enterrée
les sentiers les oliviers
et toute chose vécue qui veillait les eaux
celui qui ne fut pas et pourtant m'apprit le silence
les herbes hautes qui cachaient les murs de pierre
et ces jeux dans les pins
qu'ici tu saches ce qui fut antérieur
lorsque tu mourus
une marée t'emporta
et mesura la force du silence
***
je serai le silence
mort de trop d'amour
quand les villes croulent sous les soleils de tes yeux
j'incarne uniquement ce que nul n'a jamais vu
comme un herbe sèche
la cérémonie s'évapore dans ton ombre
le temps de sable s'écoule
j'exorcise ton regard et ta bouche
je suis le vent
je suis le tourbillon qui t'emporte vers moi
sexe disparu
race morte
je te redonne ma vie
je deviens
je dédouble ton esprit
je suis lézard
***
je t'aime et j'écris pour ta bouche
quand le palmier sera sec
j'écris pour ta peau qui est ville lointaine
j'écris pour tes yeux quand l'absence est fragile
sur l'aurore d'un sourire
je parle pour ton sexe
quand le soleil te désire
ton visage est brumeux
et l'oubli impossible
quand mon sourire s'efface
je t'aime
dans mon blues qui franchit les distances
***
pourpres comme l'inconscient
tes yeux longtemps sculptés
je suis changeant comme l'eau
irrespect des choses dues
larme de sel sur le sable
marées et pluies
revenues pour l'hiver
sur la terre asséchée
je ne suis rien
il me faut un prétexte
un sourire un silence
puis l'alarme des mots récités par les vagues
ici je repose seul
où l'autre n'existes pas
à l'aube des heures
réapprises en toi
je repose là-bas
ton visage retrouvé un instant
autre rêve de naissance
pourvu de ta bouche
irradié de mon oeil
le vent gèle le peuplier
je retourne vers ta naissance
pour y déposer un serment
un cri déchire tes seins de ses dents
retour vers l'instant d'où tout naît
mon langage traduit une magie
le poète aime les mots
jusqu'à ce que rien ne puisse plus l'inquiéter
les voix que j'entends iront vers ton ventre
l'oubli peut venir déchirer ma chair
mais rien ne peut violer mon secret
par le poisson et par le bois
l'amour me sacre
repli de sable
initié par l'ombre
amour et renaissance
***
les tornades mangèrent nos fruits et nos yeux
l'eau pénétra dans ta bouche
il se fit un silence à fondre la roche
et ton ventre cria la douleur
je t'attends depuis le début des saisons
j'étais corbeau jetant des sorts aux marins
ta bouche est mienne
jusqu'aux éclipses de septembre
la pluie revient
jaune comme le temps qui se fige
je suis miroir et mémoire
mon langage s'efface devant ton visage
les poètes mangent nos paroles
nos regards se videront
avant les éclipses de septembre
désormais ne sera plus qu'un ventre vide
***
Chanson du Temps
fuite incisive du temps
fuite des yeux et de la peau
tu cesses d'exister ici
pour mourir là-bas
tu es
je suis
le temps
fuite perpétuelle vers la fin
sur le dessin de ton ventre
miroir
je me vois naître
les ossements
sont victimes de mes mémoires
je désigne ta bouche
je trouve ton sang
regard
parcelle de mot
parole criée vers le Temps
feu de sang sur l'herbe absente
accrochée au rivage des cils
tu es dans mes veines
amour
le temps vaincra chaque vie
meurent les poètes
crient tes yeux et leurs chuchotements
je ne reviendrai pas
où le temps a passé
vertige du Temps
tourbillon écoulé par le sang
l'arbre meurt
et seul demeure dans mes veines
le vertige du Temps
***
telle une offrande de vin
je te promets un pardon
vertige bleu fait de songes
je te sacrifie une solitude
un regard baigné de sel
et tu deviens l'innocence du sommeil
l'absence du passé
***
tu hantes ma naissance
comme un reptile
je te devinais déjà au fond des nuits
peuplée de mots
tel un labyrinthe entrevu
tu vins avec un rameau
une couronne
tu apaisas l'angoisse de mes mains
quand le soleil ne disait plus d'oracle
***
j'ai vécu les mille paroles de ton corps
si je mourais demain
une larme de vin demanderait ta grâce
je t'initierai au dernier silence
des vagues de vent courront sur le sable de ta peau
ma bouche mourra sur ta bouche
j'ai bien fini d'écrire la boue des grands fleuves
j'irai engendrer les mots que tu respires
enfant
j'enfanterai des siècles d'aventure
la pluie t'offrira des paysages de mer
j'aurai lu ton visage comme le Mot
je me rends à l'inconnu qui se déchire
au-delà de tes yeux où plonge la neige abolie
***
j'invente un jeu
pour confondre ton absence
je promets un aveu
pour éviter ta distance
tes yeux nécessaires
pour oublier la pluie
je mime des prières
pour avoir ton sourire
je suis ton œil sur l'eau
la règle du feu
aux mille larmes de ton ventre
quand l'enfant vient de naître
je suis l'amour
revu à l'envers des choses de l'amour
mes mains pleines de sang
crient des minutes perdues
je suis seul parmi les funérailles
je t'aime
et je suis un ours mort
***
sur les herbages je déchiffre ton visage
tel un clocher
sur la glace je devine ton rire
afin de conjurer l'attente
et d'être plus rapide que le temps
sur les tissus j'invente tes yeux
pour voir plus loin que la mort
sur les pages écrites
je lis ta vie antérieure
ta naissance et ton sang
je suis pâle
et mon sourire disparaît au fond de ta bouche
j'écris mon langage
pour que sur mon silence
tu entendes l'écho du vent
***
il est des jours où même sur tes yeux
ne naît plus mon image
qui suis-je quand je ne sais plus rien
nul ne pourra dire mon visage
et mon futur
les oiseaux solitaires sont reflets dans le ciel
demain j'irai me pencher sur vos tombes et mourir un peu comme chaque minute me le demande je dirai vos yeux vos bouches et la folie qui hante mes mains le feu qui consume ma chair le cri qui déchire mes jambes et tout sera pire que la veille
ainsi de suite jusqu'à la fin
et si je n'ai plus rien à dire je pourrais toujours faire parler mon silence qui sera plus triste encore je métamorphoserai un matin pluvieux je trancherai mes liens libre de chercher encore et toujours ce qui est introuvable
dans la genèse des crustacés
sur l'écorce des fourrures
j'attends le cri mortel
qui délivrera mon sommeil
là-bas
les feux de paille parlent un langage inversé
j'attends
là-bas
les feux sont vents
et ma peau devine
ce qui est et n'est pas
derrière l'horizon
je dirai un jour
pourquoi je suis mort
***
Navidad
sur le bois
l'ombre du cri malmené par l'ongle
et sur ta peau
l'héritage des laines endormi par le rire
mourir un jour
et retrouver les promesses déjà vécues
vie antérieure
chaque minute traîne un sillon de toi-même
demain se travestit en rêve
et l'écho du temps trahit ton image
tu questionnes les yeux
pour apprendre le désir
le temps change ta mémoire en résidu de marbre
parole donnée pour des visions qui baignent
au-delà de l'esprit
je dessine un portrait de ton corps
attendre demain quand meurt aujourd'hui
apporter les réponses aux corbeaux de nos âmes
au-delà du végétal se perpétue notre ombre
l'amour se perd au fond de la folie
appel du poème que tu fermes sur le monde
je graverai l'envers des choses
pour que la condition du feu devienne acide
pour que ta bouche soit parfum de transparence
au-delà du sexe chanté dans les oublis
lorsqu'enfin tout est deviné
divulgué sur l'entre-mémoire
aux rives d'une ville
nous cherchons les couleurs de nos regards
parmi les illusions
car tout naquit de l'amour
et nul ne mourut étranger
aux éclipses de l'amour
sur le cheveu et sur l'histoire
j'écris ton énigme
perdu en ton refus
renaissant sur les pleurs
car rien ne fut hors de l'amour
qui ne fût compris dans l'ombre de tes mots
sur le bois autant que sur tes lèvres
sur le dessein de tes rêves
dans le contour de nos enfances
et si nul ne déchiffre le sens
enfanté par ta bouche
et les mystères de ta divination
vient l'heure où tout se mêle à ton sang
afin de brûler une voile de feuillage
qui surprend notre passé
vient le reptile
qui s'érige en symbole d'amour
quand s'épuise l'esprit
malgré l'aveugle langage
le souffle des formules
s'éteint dans ta magie
pour suivre l'évidence des minutes
consécration d'une marée
où l'amour se confond
parmi les choses non sues
le renouveau d'instants enfouis
au sommet des fièvres
et retrouvés au plus bas de ton secret
ne sait plus réclamer le silence
le sommeil ressenti après l'acte
ne peut effacer ce qui fut précédent
ta peau
promesse d'éternité
demeure imprimée dans mon crépuscule
je t'enseigne un langage
et tu dévoiles ta racine
plus profonde que mon nerf
comme une ancre fendue par la vague
et demain tarde
alors que demain est déjà un regret
peuplé de papillons morts
explosant aux horizons de nos voyages
comme un meurtre exempté de sang
mais sans l'oubli de nos âges
alors sur l'encre diluée de ma main
renaît l'adoration des signes
écoutés par la brume
j'entends ton horreur de la fin
ton oubli interdit
lorsque la pluie invente un sens nouveau
à mon visage noyé dans ton sexe
tout change lorsque l'aveu
se fait écho d'image sanglante
plus blanche que le tissu de nos paroles
revécues à travers l'innocence du sommeil
incantée par ton sortilège
plus perdue que la neige
et moins aimée que ta peau
sang inanimé
folie de pouvoir te perdre
quand nul ne peut prononcer
le nom de ma mort
seul après le temps où tout fut si clair
et si confondu
sans faute ni remord
après le temps
où TU fus
(Valladolid, Noël 1973)***
plus sombre que ton ombre
fut la vision des choses
les formes différentes
entrevues au détour des humeurs changeantes
l'eau de tes yeux cachée au-delà du regard
je refusai le sommeil comme une tromperie
mais le langage des mains s'imposa
au murmure de l'après-vie
comme un heurt de roche rouge
tu fus le commencement de la conscience
la vie ne s'interrompt jamais
mais tu en fis un repos
***
faire durer le temps afin que nul ne sache plus
ce qui ne dure pas
lorsque tu cherches mes yeux sans lendemain
lorsque la liberté s'avère si lointaine
je remplis mon regard de mémoires
foulées aux pieds par la distance
et lorsque le départ approche
jusqu'à devenir la peur
je prie pour qu'apparaisse ton visage
danse bleue
ton ventre pendant l'amour
dans les lointains nous réveillerons d'anciennes légendes
renaissantes en ta chair
identifiées aux roches
nous rêverons
de celui qui a pouvoir sur le temps
après l'orgasme
quand une faim secrète s'insinue dans nos sommeils
ton visage et ta peau sont chant de pierre
composé sur les mystères de nos absences
mais aujourd'hui est veille de séparation
et ma bouche invoque une pitié
afin que les larmes sèchent avant le printemps
là-bas se fait identique à ici
au nord
mon visage et ma vie
sans nul recours
attendent un signe d'espérance
incertitude et impatience
sont signe de folie
mais que vienne le temps
où l'attente sera morte
car ton visage est muet
et j'appréhende ton silence
***
le cercle des existences tourne et nul ne voit l'amour où il n'est pas mais je veux deviner le repère de nos langues quand je ne sais plus écrire ton nom
naît un mythe lorsque ton visage et tout ce qui te sacre toi-même est revu au travers des brumes de l'absence et lorsque ces envies de pleurs et de destruction peignent un paysage de mort
qu'importe si les mots s'écrivent pour d'autres mots quand tu incarnes le crépuscule et l'aube si le sommeil m'emporte jusqu'à demain et que demain se révèle un sacrifice si mes mains trahissent un désordre de folie
comment puis-je résoudre le temps pour qu'il efface son essence
et soit exempt de larmes
est-ce en priant je t'aime
est-ce en brisant ma vie promise à quel destin
comment puis-je mettre à mort l'écho d'une promesse
si promettre est tromper si tromper est mourir
si tu ne viens pas à moi si tu retardes l'évidence de nos désirs
***
sur l'anneau perdu
des questions qui se posent
s'interpose
la semaille initiale
sur la prière de riz
s'interroge
mon hémisphère de flamme
le temps perdu
n'appartient qu'à celui
qui pose sa main
sur le revers du monde
***
charmeur de serpent
vêtu de son espoir
fœtus de paille
enseveli dans la tourbe
je perce le temps du suicide
sous sa carapace de viande pourrie
dans les aveux de ta bouche
je reconnais la vérité du silence
qui signifie plus que les paroles
le temps tout puissant
mais déjà vaincu par lui-même
agonise malgré les vieillissements
dans tes yeux
une éternité
une victoire
le sang charrie la défaite des minutes de sel
nous remontons ensemble
vers ce qui fut bien avant la naissance
***
lorsque les métamorphoses s'achèvent au-delà des naufrages
l'eau donne son rituel pour effacer le temps
la noce imaginaire s'installe en un royaume
et ton visage s'impose comme un viol
tes yeux d'épiphanie reflètent ma naissance
la quête d'une heure d'éternité blotti dans ta chair
***
après les enterrements qui s'extasient
en exorcisme
des spectres de martyrs assassinent
la dimension du non-moi
***
moi
sur le monde
laissé par une marée vierge
au-delà de la conscience des choses
***
le vent gela trois blessures sur ma chair
méditations
et sur ta peau vint le sel de l'été
qui sculpta trois blessures
***
ton sang fusé sur l'or
dans le pluriel des temps
ton ventre bleu
engendrent l'oubli des orages
***
écrit entre tes jambes et gravé dans la chair
dans la pierre des genèses en exorcismes de terre
mon sexe déchire l'oubli des lointains que rien ne peut taire
accroché aux rivages des nerfs
écrit entre tes jambes par l'amour déchiré
mon sexe arrache des lambeaux de mort
enfouis plus profond que la chair
sur ton ventre offert comme une vérité
sur tes seins brûlés par le désir de conjurer le sort
morsures de solitude arrachées au sacrifice primaire
paroles agonisantes jetées
tournées vers la conscience des corps
comme au premier jour de l'hiver
mon sexe s'enfonce jusqu'au sang pour trouver son essence
et ton sang sa naissance
chemine dans ta bouche qui dit sa jouissance
images obscures de feu folie élémentaire sans absence
dans l'extase des secondes de glace sculptées sur ta présence
puis au bout de sa course s'interroge sur l'oracle du silence
officie son rituel et proscrit la mort et la démence
en toi je réapprends la beauté des promesses faites
en dépit des tempêtes
tes mains agrippées à mes lambeaux de vie
griffent l'acier des oppressions quotidiennes
un enchevêtrement de liquides et d'envie
déchire nos ventres nos espoirs et nos haleines
écrit entre tes jambes comme le destin
enroulés pour ne faire plus qu'un
nous saluons une dernière fois tout ce qui fut Avant
et nous recommençons pour que ton cri masque les encerclements
plus tard lorsque le chiffre devient illusoire
lorsque des millions d'années ont éteint tout espoir
nous entrons dans le regard de l'autre pour y déchiffrer
ce qui s'est déjà peint des couleurs du passé
© Bruno de La Perrière, 1973