Bienvenue

Voici un certain nombre de recueils de poèmes écrits dans les années 1970.

"Paysages mentaux" a été publié en octobre 1976 par les Editions Saint-Germain-des-Prés, devenues ensuite Le Cherche-Midi Editeur.

"Mes îles sur le comptoir" a paru en mars 1979 dans la revue "Poémonde" fondée par mon ami, le regretté Claude Herviant.

Les autres sont inédits.

Bonne lecture.






Paysages mentaux (première partie)


Ce recueil a été publié en octobre 1976 par les Editions Saint-Germain-des-Prés (devenues Le Cherche-Midi Editeur) avec le concours du Centre national des Lettres. (Cliquez sur l'illustration pour agrandir).

Préface

Ecrit en 70-71. Un prologue, deux chapitres, un épilogue. Etrange expérience. Trace d'un voyage mental. Quête d'identité. Longue méditation. Exorcisme : parce que besoin de plonger dans la question Qui est Je ? Métamorphose : parce que Je devient libre de circuler dans le paysage mental. De s'échouer pour un temps sur les visions fuyantes. De repartir encore vers des expériences brûlantes. Portrait mental. A toutes questions qui font siège au Moi, Exorcisme tente de répondre. Le Moi cherche sa réponse dans les songes. Les mythes. C'est là qu'a lieu la métamorphose. JE n'est plus MOI. Récit d'une vie antérieure ou future. JE peut être l'AUTRE. Voyage mental dont l'écriture est le fil. Essai pour circonscrire la mémoire. La part inconsciente de nous-mêmes qui nous ronge de symboles. Le rêve n'est qu'un autre réel. Poèmes où jaillissent des paroles-visions. Tout poème peut s'appeler Vision. A travers l'écriture tout est possible. J'y dis des paysages mentaux. La vraie couleur des actes. JE devient chair et part de la matière. Soleil et nuit. Ou bien JE n'est qu'une part de l'inexistence initiale. De la mort. De l'éternité. Vie ? Ma propre invention ? La mort aussi ? Je suis destin anonyme. Amour ? Qui est TU si JE n'est pas MOI ?
Et si dans la vision qui traverse l'écriture, je pouvais tout ? Amour. Naissance. Mort. Ne suis-je qu'une ombre traversant un soleil ? Un nomade dans le désert vital ? Une figure de légende erre sans cesse sur mes paysages mentaux. Vierge du sens de la faute. Exorciser Alchimie du sens. Rimbaud. Dérèglement savant des sens pour atteindre la vision centrale. Cérémonie secrète (poème "Métamorphose") où je recrée le monde. Me transforme en bois, sang, silence, sable. Fin des paroles. A contempler. A l'envers du regard apparaît la véritable signification des choses. Comme un targui, j'apprends la face cachée du monde. Au bout de la métamorphose. Poète pas mort. Je suis parti vers ces collines rouges… Devenir.

Bruno de La Perrière (Oklahoma, avril 1976)

PROLOGUE

le fragment de vie se déroule
comme un torrent
telle une mémoire déjà oubliée
j'ai écrit
des mots de sang
ainsi l'exorcisme libéra les paroles
et l'esprit
afin d'y confondre les symboles
l'écriture devint
neuve
emblème de silence
l'expérience
inséparable de sa chair
est gravée dans l'ombre
des souvenirs
le rêve
s'achèvera
comme une vie
au-delà des paroles
la métamorphose
est pressentie
comme une Fin
la paix
vécu de paroles
et de sang


© Bruno de La Perrière, 1971 / Editions Saint-Germain-des-Prés, 1976

Paysages mentaux (deuxième partie)


EXORCISME

un feu transfiguré
incarne le poète
et ses mots qui ont froid
les lignes des mains
émigrent vers des poésies fausses
l'écho d'une haine supposée
qui l'empêche d'avoir honte

***

l'aube devint mon rire
qui nie toute souffrance
mon sang abreuve les montagnes
dans l'angoisse du froid
mes muscles sont des villes explosives
je suis mort de silence
comme saison astrale
JE
fut le silence de cette nuit

***

solitude inachevée
je suis brise calme dans tes yeux
sur ta bouche
je découvre un début de repos
sur ton visage assourdi par le soleil nu
et la neige
bouche et œil restaurent le silence
je construis un climat
pour soumettre ton étrange

***

hérault de visions monstrueuses
je possède un secret de Pitié
mes pas traînent
le souffle d'un sillon de nuit chaude
je détruis ma chair nue
afin d'apprendre la Vie
que je transforme
en suprême aventure

***

aboli
je rêve un pays
expié de chair gisante
qui incante
l'Infini de moi-même éternel
qui suis terre de sa peau
sève de son sang
nourriture immuable
sacre de béatitudes
je suis justice sainte
et la Femme
substituée à la virginité
unit chair et parole
en un absolu
d'où exhale ma vie

***

un refus traduit l'aube
je suis seul
et j'imite le visage
que j'ai souffert
le feu issu de mes yeux
suppose un été
qui clarifie les nuits

***

j'entendrai les sensations fragiles
qui absorbent vos lendemains
demain n'existe plus
chaque jour est hier
et je dirai des lendemains
surpassés par vos offenses

***

l'expiation du crime
envahit le Futur que je divulgue
je marche sur moi-même
et sur les lèpres d'une chair
l'émeraude naissante
méprise ma voix de prophète
qui salue la vallée de sang

***

le songe d'un enfant
inhibe l'Incertitude
les flammes tremblantes
regardent vers le Sud
les plantes reflètent
la Fin de toute chose

***

les marais tressaillent
comme un repas charnel
l'Objet aux yeux de sel
au ventre de métal froid
renaît en chaque signe
et transmue le silence
l'eau
pour écouter la plainte d'une larme
qui devient braise éteinte par la braise

***

je suis visage
sang
amour
nouveau visage et nouveau sang
je suis vieille légende
corps insoumis
fait de mots
j'écris le sang
dans ma poussière et ma cendre
sur ma peau et mes ongles
sang
nouveau visage et nouveau sang
est-il encore des mots
sang Ô sang si vrai

***

je survis au mouvement des astres
au soir immobile
trouvé dans le temps
je suis ébauche
plus floue qu'une algue
je suis hiver chargé de venin
regard sombre brume et chaos
je découvre un os afin de l'adorer
prosterné au zénith de neige
rougie de sang et de vin
ne laissant aucun pardon
aux vents irresponsables

***

mon regard d'horizon
restitue une vague
mouillée de chair
MOI
enfant aux yeux fous
j'ai lavé toute plaie d'ombre
et prié en regardant mes mains
j'ai inventé la Mort
et la Vie antérieure
et le Salut
mort ou vivant
je suis Destin anonyme

***

j'exhume une relique de sexe métaphysique
murmuré en un verbe
si je damne une steppe
est-ce mon règne prochain
que je matérialise
cette flore vassale
qu'importe
puisque je sais une noce de craie
un jeu qui m'ont choisi
pour jaillir de leur cep

***

je connais l'amour fou

Armé de tous mes songes
après Ma vie et mon sang
tu seras libre Ô démence
plus belle que les Unions fausses
et par toi j'apprendrai à Retarder la mort

***

j'existe sans Moi
vérité solitaire
j'entrouvre un étang
gigantesque de racines et de vie
cerné de l'Ineffable
j'efface le silence
corrompu de viande et de salive nue
l'à-peine inexprimé me sacre éloge
déchiré dans le ciel
épiderme de plomb
je suis Homme
surpuissant
traversé d'authentique
résultante d'orage et d'humus

***

meurtri de terreur et de bruit
et de pourrissement
je veux être l'Autre
seul
enfanteur d'aventures
oublié endormi
je veux être l'Autre
sans visage sans voix
afin de recommencer
Tout
je veux je suis l'Autre
vrai obsédé de moi-même
l'Autre suis authentique

***

de la flamme de sel vif
qui germa sur l'œil sanguin
j'ai tiré mon visage
pénétré de cendre et d'eau vierge
j'ai vivifié l'ombre
et d'une arbre
d'une vérité
du Néant
j'ai fait l'Immortel
l'au-delà noyé de sang

***

je m'invente
dans les prémices de la Nuit glacée sous ma peau
débordant toutes les pierres
j'écoute les bouches déformées par le silence
et l'approche d'une marée nuisible
je suis Nuit engendrant l'Ecriture
Nuit verticale
j'extirpe mon ombre de l'ombre
et la fais Œuvre pour mieux l'imaginer
je suis Nuit
provoquant la transcendance des mots
dont je transmue la matière stérile

***

l'urgence de l'espèce
enterre l'Idée monstrueuse
germination folle
dans la facilité des sables
l'écriture serpente
en mon humeur exclusive
j'explore une parole fraîche
pour libérer l'emblème de mon image
et chasser les présences inutiles

***

un souffle d'herbe rapporte un regard
j'ai gravé le calme sur ma bouche
rongée de prières et de mort
je suis poisson terré sous la vase
un cri a renversé mon ombre
jamais sommeil ne sera plus profond
illustré d'années-lumière que j'éteins peu à peu
je suis mort plus que vous tous
j'apprends le nom d'une saison
j'envie le feu
mais je marche vers une fin glorieuse
vers ce feu
car je suis bois
sang
sève
dessèchement de mort
et je hurle la nuit

***

de sang chaud
vécu de vin et d'huître
j'ensevelis mon visage
en forme de demi-sommeil
mes mains nées de l'ombre totale
survivent par un serment
que je n'ai pas voulu
vécu nourri de plantes hybrides
je dissipe un mot
tel un insecte jamais vu

***

tout transhume
vers une trêve
figé dans mon ivoire
je cherche mon nom
entre nuit et feu
nudité posthume sur l'horizon
jailli du sable
je contemple la roche nue
rouge de légendes
je découvre un visage d'homme
le visage de l'Homme

***

le granit nie cette union
au centre de sa chair
la chaleur d'un lac réfléchit sa fièvre
la ronce et le lierre enfantin
substituent la Parole inutile
je profane un seigle durci d'air
je devine une Métamorphose
marbrée de gel
l'instant fondamental
d'une fête surnaturelle
qui vengera la poussière
un vent géniteur

la saison se transforme en Moi

***

je rayonne sur l'arbre
voyageur des siècles venu du sable
traversé des échos de ma nuit
que mes doigts changeaient en sarment glacial
je suis image d'herbe brûlée
par une goutte de jeune sang

***

mes yeux s'infiltrent d'humide
de mystère
un spectre de brume
dispose toute substance morte
et apaise mon visage gris
un jour monotone s'annonce
avec ses bruits avant-coureur de Folie
d'eau glacée

déjà l'aube et je suis encore seul

***

le mythe surgi de la froideur imaginée
impose une trace élémentaire de mort
pétrifié dans la haine
extatique
rugi par l'élément
rugi par l'Elément
hurlé par moi
par Moi encore
rugi par l'Elément
le mythe remue les bouches immorales
vers un élan superbe
destitue les vérités
il est nourri de doute

***

sous un signe ancien
de l'obscurité des mots
j'ai conçu la Folie
pour la transmettre au feu des montagnes
brûlant de peau et de calmes violences
j'ai réappris l'Eternité de sable
j'étais guerrier puissant et fier
de mon Etendue

***

personne ne connut mon tombeau
étoile arcane
né d'une alliance
je suis déchirement de silence
chair et ténèbre
et je conjure le remords
qui dévore vos ombres charnelles et lâches

***

criée par l'écho des minutes de vent
la nuit me dédouble et me confie un trône
un prodige tyrannique qui écorche la chair
et massacre les peuples

parce que je ne suis rien
je serai géant
pour gifler les planètes de cendre

je suis Fin de ce monde

***

la mer exulte un sacrifice
un remous d'herbe franche
et se mêle au feu
pour signifier l'Etendue
je déterre une image de vide
confondu avec l'atmosphère
je surpasse l'Instant
embryon terrestre
je sculpte une aurore polaire
JE
espace incompréhensible

***

la chaleur de l'instant insaisissable
pourrit les blessures des ventres sanglants
l'horreur dessèche la terre
et me disloque sans fracas
les maisons palpitent
mes doigts écrasent les insectes
je noie la boue de mes meurtres
je m'enlise
et ne meurs jamais

***

je suis fœtus
venu d'une confrontation
de paroles et d'expériences matinales
de farine et d'ombres immédiates
né de l'étincelle première
telle une argile
le Mal et la Matière
s'interpénètrent pour me juger
mais
la liberté par Moi enfantée
a un corps vierge
un visage

***

l'immensité me dévoile un feu calcaire
un spasme d'apothéose
consumé impalpable
j'étouffe l'Etre présumé par mes os
j'hallucine la nuit qui surpasse les marées
et m'envahis de paroles et de plantes

je m'enfouirai sous mes mots
pour mourir caché

***

j'immole un paysage de sel
une mémoire de sigle sexuel
soluble dans un rythme
neuf d'imposture
le Verbe végétal
trahit mon sacrifice
tel un vestige de pain
que je signifie
j'abandonne toute évidence
et m'efface en Moi

***

j'ai vengé une ardeur
née de ma force subjuguée
nourri d'acier de parole et d'orgueil
j'ai vécu l'Instant
apogée de l'enfer
Péché loyal et important
j'avais juré la grandeur
de l'acte fratricide
suprêmement délié au-delà des serments
cette Alliance qui conjure le Temps
l'ai-je construite à coup d'Inétendue
afin de graver ma mémoire
ou l'ai-je faite Oubli souverain
pour maudire et soumettre
ma réelle existence

***

le feu avorte une pierre
sacrée de main d'homme
artificielle
silhouette morte
et par sa substance
j'affranchis les légendes
les prières défuntes
et ordonne l'esclavage d'une mort disparue

***

ma neige endormie
de rayons et de pleurs
et de carêmes sacro-saints
révèle une odeur étrange
un trophée
qu'illumine mon œil
j'exorcise le vent
et me sanctifie
ruisselant de baisers et de sel
par les peines injustes et les enfantements

***

l'âge nouveau me dissout
en un sosie immatériel
et me tourmente
en mon tumulus inviolable
je ne suis que viscères
vapeur de soufre qui paye son tribut
simulacre d'ivresse étouffé par la tourbe
refoulé dans une Inexistence

***

soustrait de mon image
j'identifie mon corps au basalte
et préside une messe éternelle
inhumaine
je purifie les bouches
sur l'autel de roche noir poli par le vent
j'invoque le Silence
qui prend vie en moi

***

la Vérité de ces montagnes
mortes sous le sable
hallucination de ma nuit

un peuple se tient nu
devant l'immensité

***

sur une feuille de chair
j'écoute la Parole tracée
et j'y découvre moi-même
écrit avec du sable

***

j'incante une présence
un levain
pour dédoubler ce qui a pris fin
toute chose devra s'éteindre
telle cette houille
ce reflet d'hydrogène
à jamais
je serai le jeu
d'une floraison de solstice

***

visions dépossédées de leurs mensonges
la route mouillée l'orage
brûlent mon appel
et tremblent de nostalgie
l'apprentissage du vent
confronte soir et mystère

***

une ombre d'écriture
où je lis la réalité de mon sang
invente un sens neuf à chaque objet
elle est algue plume sable
herbe totalement palpable

***

mes larmes effaceront toute trace de bruit
et mon silence transmuera le reptile
en fruit d'aventure
quintessence
extrait de vision à peine vécue

***

communier avec vent et sable
entre roche et soleil
authentifier le silence
présent dans chaque pousse d'herbe
se fondre en cette poussière brûlante
pour devenir vraiment
cet homme bleu
trop grand pour être su
avec ses paroles
belles par leur absence même

***

mon deuil se métamorphose
en une fête maussade
entre les pierres et la mousse
ma solitude possède
le prestige du silence
alors je me confonds
avec cette terre fécondée par la sueur
le Sortilège de mon existence
est une légende
consignée dans le sang d'une roche

***

transmué en Toi
je suis ton frère
en sang
en germe neuf
Je Suis

> Lire la suite...

© Bruno de La Perrière, 1971 / Editions Saint-Germain-des-Prés, 1976

Paysage mentaux (dernière partie)


METAMORPHOSE

dans le délire de cette nuit où nul n'a reconnu l'agonie de la rivière
il a révélé l'absolu de la substance dans le changement séculaire des arbres
un éloge de mots transmettant la clef de tous les symboles d'une poésie élémentaire impliquées dans un feuillage irrationnel
il a soumis la signification de toute valeur végétale dans un remuement de chair haletante
il a imprimé dans la rosée du sol la transcendance de l'écriture
il a exploré toute parole cachée sous un regard figé
vision vécue
suis-je donc fou

***

la simple agonie sous les feuilles mortes
j'ai nourri la vallée de mon sang et le fleuve du sang des autres
je mourrai au fond d'un puits en déchiffrant une écriture sur ton visage

la simple agonie dans le reflux des vagues
elle mesure son origine minérale noyée dans la pluie
elle entreprend ton visage avec sa moiteur animale et transpire par toute ma peau
je l'écoute devenir moi-même se répandre en liquide glacial dans mes poumons et appréhender mon souffle
bientôt elle aura envahi tous mes membres et te cernera mieux ainsi

la simple agonie qui coule dans toutes les alvéoles et toutes les cellules de ma chair mouillée et qui les ronge sans que tu t'en aperçoives
elle te possèdera par l'absence de mes lèvres quand elles toucheront la poussière sous le joug du plus fort

la simple agonie qui coule au fond des choses et qui me justifie
d'avoir aimé une morte

***

Métamorphose

couper la racine de l'arbre en extraire le sel et le purifier pour communier avec celui qui n'a rien
le flux du vent rencontre l'écho humain tel qu'il ne se peut jamais apprendre
écouter un mot une parole et les pétrir dans une essence de surnaturel
je formule un espace trop large afin d'en proclamer le sens
les lettres sont un univers souvent recommencé j'en écris pour des bouches figées pour des morts incompréhensibles

attiser le feu de l'ongle écarter le genêts et prendre leur place sacrée en écrivant leur langage survivre à leur appel et recommencer le sel et la racine de l'arbre pour s'y baigner nu en offrant une odeur inconnue un goût amer
le rire devient l'incompréhension devant l'étendue de l'acte devant ce cri de joie parce que la lumière dilue le silence et la pierre

s'arrêter de jouer écrire une émotion intense une vision totale pressentie au-delà de toute vie afin d'y déchiffrer la nuit et l'aube anéantir un passé quand tout sera pleinement accompli quand cette aube aura étouffé villes et montagnes divulguer ce passé qui ferme l'espoir à tout espoir retrancher le sel de la racine de l'arbre le gaspiller au gré de l'eau le mouiller de chaleur de sang de néant et endormir l'herbe haute pour se sanctifier par l'intransigeance y greffer la flamme inoffensive d'un astre mort la flamme de solitude qui scrute le geste inconnu du sable

je transmuerai visages et corps en marbre brûlant en fleuve boueux en marées suffisamment violées par l'usage de l'algue sèche mais la salive imite déjà le vide et multiplie l'angoisse du froid

déchirer la viande rouge à pleines dents fondre l'écorce brune l'éclater en mille parcelles stériles qui disparaîtront disparaître moi-même rentrer dans l'épaisseur du bois m'y frotter en silence afin d'en emporter le signification véritable féconder une fleur en la regardant cheminer lentement jusqu'au sacre de l'objet se confondre avec lui et puis attendre la nouvelle mémoire qui rejoindra l'esprit tout recommencer jusqu'à la fin de tout alors il n'y aura plus rien

et de ce rien imperceptible faire un limon d'où naîtra le soleil forger un portrait d'homme inconnu qui changera l'eau en sang afin de parfaire ce cycle ascendant le cours des rivières sera cette ascension vers l'origine des océans
ainsi je réinvente la lumière et l'ombre mais différemment la lumière devient ombre et l'ombre lumière afin que par ce symbole de continuation les années se figent en un sacrifice sanglant et final

je substitue la chair au métal et pour accéder à l'origine des roches et des plantes le non-homme me suicidera sans motif ici alors la véritable fin des paroles

***

j'essaie de me souvenir
l'angoisse glacée de la mort
noire avant le vide
l'aspiration inextricable dans mon néant
ces viandes rongées inévitablement
par la vitesse du temps
et puis plus rien

***

au rougeoiement du ciel
aux aurores boréales
au-delà de tous les au-delà
sans végétation
sans glace
sans la présence corporelle
une naissance majestueuse
dans l'enchevêtrement de la durée
une prière à la nuit
sans l'angoisse des hommes
l'apparition de Dieu

**

tout au fond de la faille
un tournant indélébile
de civilisations brûlantes
plus qu'une flamme
qui engloutit le bois
une malédiction

alors vient l'achèvement parfait
qui brise tous les liens d'une vie
et renvoie tout
à l'état de poussière

***

le grand vide du fond des choses
la parole effacée de ma bouche
je renie ma naissance
grand vide de pardon divulgué
dans le regard des hommes

la métamorphose jaillit de mon silence
plus précieux que treize mille mots enchevêtrés
je dissous l'ombre
départ impressionnant
au lever du soleil

***

je suis le symbole inexplicable
d'un sacrifice humain
d'un crépitement de chair
dans une absence de vie
mais il y a toujours
l'éclair de la flamme rouge
et pour le cent millième fois
une marche épuisante
qui surprend toute existence
à son terme

***

au-delà de ma chair
l'alchimie de certitudes
l'avènement du soir
rapporté
rythmé par la vague
le soir
au-delà des limites de l'œil
l'alchimie des paroles
l'évidence
lorsqu'elle monte en vapeur humide
au-dessus du sable
absente
le soir
l'alchimie d'une existence
le labyrinthe où s'évanouissent
certitudes et paroles

***

je renouvelle le commencement sous forme de sang impur
si toutefois quelque chose a été commencé
j'interroge la complicité des saisons
et la divination qui hurle
de l'autre côté du fleuve d'eau noire
je me regarde mourir

***

l'humus inventé dans l'éclat de ma présence
pêche miraculeuse au centre des saisons
sur le rebord des schistes
sur le mouvement fécond des oiseaux nocturnes
sur la semence tardive ébauchée par les lignes des mains
par la fourrure
à l'envers d'un miroir
à l'envers des raisons
à l'endroit de tous les cataclysmes
sur la lecture des couleurs
sur l'orientation nouvelle des vents
l'humus expirant aux remparts des villes
sur la fusion des magmas qui résorbent les corps
l'humus ressuscité
humide

je l'écris ici afin que nul n'oublie de payer son tribut végétal

***

j'ai orné la grandeur de ces montagnes
pour honorer le silence
seul où nul ne peut l'atteindre
pour en réclamer l'exigence malléable
la neige réinventée sur une crête
étouffée dans un mouvement insoupçonnable
par l'ivresse des prières

tout devient renaissance sensible
dans une odeur de pluie
et sans comprendre
là-bas
le bras du fleuve qui va
l'au-delà qui m'emporte
dans sa nuit
exigence de nuit
qui tomba sur les yeux

***

Incantation à l'envers du regard

à l'envers du regard une dissection de roche et de métal le graffiti des mains achevé à la pointe des ongles la pulpe extraite la virgule éclose du lierre brisé les brûlures turbulentes dans un embryon de fruit qui perpètre une genèse de langage indéfinissable et se transmet hors du temps aux saisons de neige

un vol d'oiseaux migrateurs se perd en cris de révolte surprenante nouvellement apportée par-delà les apparences du feuillages

suis-je demeuré semblable aux résines fumantes
la flore devient hostile à ceux qui n'ont pu y lire leur propre voix et comme indétournable de ses propres traces remue vers moi la logique des choses la ligne rectiligne du sable

à l'envers du regard l'ombre d'une attitude l'attente des climats détournés l'incertitude revue à travers la chute des feuilles

et même si les doigts n'en peuvent palper la proximité tout le fourmillement des eaux qui circulent et inondent mon corps d'apesanteur la mouche qui retrace l'écoulement des nuits comme un cri et me refuse un brin de salut au moment de la mort l'extrémité du mur la gangrène dans toutes les paroles

j'essaie de composer un paysage brûlé et le froid m'envahit et la glace se confond avec mon sang j'en honore l'existence précoce

les brisants au large mangés de mousse marine de plancton sur toutes les pierres les poissons gravés sur tous les galets et le dessin des vagues qui meurt sur le sel de ma peau la vision d'un résidu de lac d'un volcan disparu et l'aube qui dévore le bord des toits le givre sur l'ardoise

et toutes ces visions fugitives qui me clouent au seuil de moi-même

**

dans la dissolution des sexes
je lis le futur d'une vie
conjuguée en degrés de hiéroglyphes
et la neige elle-même entrecoupée de rire
sur ma substance revécue
l'or mené jusqu'au terme de sa pâle pureté
je lis la transparence de l'encre
la déduction solaire
je me sacre roi d'ombre
la lumière me mûrît si j'incarne la steppe sèche
qu'incendient les vents
la fournaise où le scorpion détruit toute graine
le cri du sable dispersant l'eau croupie des gueltas

je me relève venu d'autre part
je suis mort un instant
pour n'en revivre que plus parfaitement
par l'éveil des sens
juste avant le non-encore-vécu

***

j'entreprends un sang mûr de sel d'amiante
que je mêle à mon sang pour le boire aussitôt
c'est le viol d'un nom
l'inévitable chaleur d'une main que je feins d'ignorer
tout ce qui m'offre un renouveau d'automne
qui repose au fond d'un sommeil

***

l'automne déchu comme une argile rouge germée de soifs
ainsi s'établit le charme qui m'invente un prétexte pour effacer le rêve
mais je coule en reflux savamment appris dans les plis de la terre
je me surpasse au-delà des moments de la chair
pour découvrir peut-être qui est JE

aux abords de la fogarra je retrace l'empreinte des légendes perdues
un regard paisible dans le noir du tissu
la naissance de l'infini là où meurt l'oasis
ici JE est retrouvé seul sous le poids écrasant du soleil
ici je deviens homme
parfaitement restauré au cercle de l'horizon que rien ne vient contredire
parfaitement authentique par le pouvoir magique des roches dissoutes en sable fascinant
ici JE me fascine par le Silence étrange qu'il incarne

***

I
je neige un contour de brume sur le siècle des enfants
sur le nouveau méandre qui forme une île
j'attends de renaître par l'exemple du feu

déjà j'étais nu et régnais sur la foudre

je parle l'évidence des couleurs
et ma main devient roche bois feu
l'issue m'est sacrifiée quand nos bouches s'évoquent
je meurs un reste d'histoire afin d'apercevoir
une ombre de poète qui disparaît
j'efface l'ultime trace de pluie

je me devenais par le pouvoir des mots
dans l'enceinte des murailles ocres
je naissais par le pouvoir de ma propre image

j'apparais ton visage
je te transmue en arbre pour marquer ton passage sur le sable

j'accédais au cœur de mon nom
et j'épelais le chiffre né du chiffre

j'écris ton exorcisme
pour disparaître l'ultime trace de la rencontre
je devine l'avenir par la direction des vents
je consume le dessin des fleuves

II
tu m'existes désormais sur l'aire des viandes séchées
aux fruits de mer mêlés de sel et d'algue
je dilue le cartilage et l'os
tu m'existes dans la fraîcheur d'un abîme
je suis sphère de ma reconnaissance
je délire sur tes nerfs

tu glissas longtemps jusqu'à barrer le fleuve
et la moraine fut de nouveau le cercle des pics

les insectes savent jouer l'interminable prolongement des mots
j'écoute la promesse de leur attente
lorsque les mouettes plongent sur le remous d'écume
tu me ramènes seul au seuil de la Femme
et j'y lis ma naissance il y a longtemps

***

l'ombre de la parole transperce l'acidité du jour
et l'hiver offre un prétexte à la nouvelle naissance
j'ai mené le mythe au terme d'une recherche trop indifférente
la sève pourpre du feu écarte encore mon innocence prouvée
enfin j'entre dans le secret des origines de mon histoire
pour la laver complètement de ses fautes
et la réécrire différemment

***

j'ai remué le visage du feu au bord des montagnes
et maintenant je présume un sang inconnu
dans la flamme où vient de naître l'eau
j'entrevois le sein nu de la femme
sculpté par les saisons
l'emblème purificateur qui détruit une absence
quand le feu naît de l'eau
et l'avenir du sang
je me métamorphose en Toi
afin de prédire le vent
et la sécheresse à l'horizon
élargi par ta future absence
Je suis Toi
Je n'est Rien

***

dans le vol d'un oiseau j'ai fait germer une existence
sur ton ventre j'ai lu une vie

le feu charnel proclame la nudité
je sanctifie
je métamorphose
comme dans un jeu absurde
je résurge tes symboles

tu es visage
tu es arbre
tu es herbe
je chemine lentement dans ton regard
afin de condamner le meurtre
et l'expier sans douleur

je suis l'unique témoin

***

je nais de la vague
sur l'ombre d'une plage
déposé sur le sable noir
par un feu de sel
par un feu de sable
et d'algues desséchées
qu'enflamme une étincelle de vie

***

une larme le long de ta peau
se fond au sortilège de ton regard
l'absence seule devant l'image du temps et de la pierre s'écrit
qui es-tu
quand l'attente interminable de la fin
devient visage-labyrinthe
qui es-tu
si la solitude est ton absence
si la tristesse est ton absence
dis-moi qui tu es
lorsque ton nom ne signifie plus rien
ni ton visage
et que l'espoir découvre le jour sur l'autre face du jour

es-tu moi-même

***

à l'aube de tes lèvres
mon œil vêtu de feu
perce le point où tout regagne sa fin
où s'achève le cycle infernal de ta chevelure
le point où je lis simplement le cep et l'argile
la branche et le feu
et toute légende d'un arbre
perdu au-delà de sa nudité
ta bouche déjà rencontrée au hasard d'une vie
noyée de vin
encore bleue
mon œil et ta bouche
que je montre du doigt
que je déforme à force de salive
pour y reposer désormais
pour y entrer infiniment
par un rite découvert au hasard d'une vie
de ta vie
de mon œil
de ta bouche sanglante
où est venu mourir mon œil

***

désormais

j'exorcise ton nom
par l'eau et par le sang
qui germent sur la craie
comme un feu glacial
qui se mélange aux grains de sable
j'exorcise ton image
j'y lis désormais
comme dans un mensonge libéré de lui-même
et par ton existence
je retrouve
la pureté de mes origines
la vérité de mon être
je deviens
le silence de ton silence

***

qui es-tu
hurlé par la divination
craché par le vent
qui vient du lointain Sud
incompris des regards vides
nié par celui qui traversa les plaines
du lointain Nord


EPILOGUE

le temps
effacé de pierres blanches
se penche
sur la tristesse d'un regard
mes larmes sont bleues
comme un germe d'acier

l'expérience touche à sa fin
mais je sens alors que la Fin
est belle uniquement
parce qu'elle est seule à se connaître entièrement
je fuis désormais
sans goûter au mystère
mais le poète n'est pas exactement mort
il sommeille tristement au fond des choses

qui quête encore l'étrange inconnu que je pressens
tout au bout des collines rouges
combien de temps encore avant de pouvoir oublier
une vie impénétrable pour tant de regards
seule et unique par sa solitude

combien de temps encore
avant le néant merveilleux
de tout ce qui n'est pas moi

***

j'ai vu le règne du sang et de la chair
mourir devant le rêve éteint
j'interprète de nouveaux mots
les mots sont morts
les chants s'infiltrent
dans la naissance d'émotions neuves
parmi les bruits qui s'engendrent
pour traduire d'autres vies
les formes se forgent toujours sous les doigts
mais elles sont autres
tout s'articule pour suivre la même évidence

le poète n'est pas mort
il devient

***

il y eut une fête
au centre de l'esprit
puis l'éloquence silencieuse
d'un arbre

je serai donc
semblable au végétal

FIN

© Bruno de La Perrière, 1971 / Editions Saint-Germain-des-Prés, 1976

Canicule


je me surprends au détour des continents
des murs de cartes
dédoublement engagé en lutte féroce
pour victoire d'homme
l'annonce des civilisations révoltantes
retrouvaille qui ensanglante la mort
(Paris, 5 juillet 1976)

***

éternelles pleureuses de sel
de langage blanc désappris
sécheresse de pierre
d'insignifiance humaine
dans les canicules
nous extirpons nos sangs métalliques
en foudre déesse
mais de teepees indiens en poésie-jazz
un calme sous-jacent
(Mocpoix, 13 juillet 1976)

***

me noyer et sortir des gencives serrées
prémonitions des châtiments illuminés
me soustraire à vos semblants
(Mocpoix, 19 juillet 1976)

***

poésie hallucinée crépitée sur la nuit
regard crispé aux jointures
grande poésie
témoin des arrangements
des changements vécus
poésie fragmentaire
arrachée aux instants privilégiés de l'écriture

poésie vérité
qui préserve son identité
remous de sang
parole donnée au-delà du dédale
repos offert au voyageur
temps écoulé en vermoulures historiques
mon langage mon labyrinthe
en forme d'offrande cunéiforme
derrière l'essentiel
mon verbe
pour les présences et les méandres de l'absence
vertige de moi-même
regard étalé sur l'horizon
ultime au bout des formules
différence abolie
nous crèverons ensemble
à l'appel des maléfices
mutuellement protégés
combat final
ensemble nous irons
peu importe la défaite

grande poésie
roche bleue à remonter à dos de sang et de larme
roche piège à digérer
à craindre
roche de mort
tu seras ma justification à la vie
à dos de mots triturés et de tortures
nous exorciserons la roche de révolte
nous l'enfanterons
à l'heure où les chiens chassent
nous menons nos peines
nos obscurités farouches
en calvaire de sel
en formule négative

grande poésie
dans la fièvre
tu violes mes retranchements
mes dernières défenses
accueil total
décision de vaincre ensemble
révisant nos carcans
notre âme polie par habitude
nos croyances fragiles
nos folies
nous choisissons la roche
la pétrissons de notre sang
pour mieux l'apprivoiser ensemble
élargissement
frayeur d'écriture
jaillie des profondeurs de la vie
de l'incompréhension
(Paris, 12-13 août 1976)

***

je trébuche au passage des amazones
foulé au pied par le songe
rythme de l'évidence
fuite rapide en fuite occulte
danger
enfer promis au magicien qui danse
je devine le fléau
conclusion provisoire
me heurte au sourire absent quand s'affale la tristesse
je dis mon masque
extirpe mon ventre de l'acier qui tenaille
fausse attente mortelle

défaut de feu en cuirasse
défaut de chair
itinéraire insatisfait dans le regard des autres
insecte sur le bois écrasé par le silence
loin des paroles
l'envie de dire trahie par la fatigue

derrière l'identité
sang bouilli sang noir du désespoir
subi sur la langue en fièvre
désir d'éventrer la vie
jet de pierre mal aimé
défi de bonheur
épiphanies de sang
(Paris, 19 août 1976)

***

à l'envers du dire
ma voix s'offre aux démons trahis
simple verbe qui étincelle parce que seul
les choses que je ne pourrai jamais dire
que je ne dirai jamais
(Paris, 23 août 1976)

***

nés comme des torches
condamnés à mort
germes de sang farouche
vomissements d'humeurs fatales
partir au devant des carnages

les noms-visages en épilogue
fondus par le désir au nom de la pudeur
prose acide flèche criblée et source de folie
derrière les naissances trahies
éviction des peines incomprises
des tourments inutiles
offrande frappée à mort
les couleurs perdent leur éclat
je mords mon propre sang
me soustrais à l'écorce
aux déchirures du regret
tes jambes en symbole d'oubli
impuissantes
tendresse bafouée à coup de circonstances
pour chaque minute que nous fuyons
pour chaque regard fui
la trahison des mots qui ruisselle à nos tempes
(Paris, 25 août 1976)

***

nos fuites
en déguisements mythiques
mesurent leur jeu occulte
angoisse de parler
indéfinie
lacérée de frustrations

s'étale un échec sauvage
un constat sanglant
d'homme perdu
la vie est lent suicide
déception perpétuelle

ton visage au matin
ta peau nue
autant de promesses déchues
femmes perdues
nos lueurs d'espoir se font rares
le sommeil est trop court
réveil torture qui nous éventre

ce n'est que survie
notre enfance de feux d'artifice et de carnaval
s'effrite en morsures de solitude
(Paris, 25 août 1976)

***

encordés à nos luttes féroces
émoussés en filaments de rupture
en sarabandes en début de folie
âme collée aux incertitudes
mot distordu en image de mot
langage maladroit de vision divisée
seuls entourés de pièges
l'orage écaille nos yeux
quand les figures noires écrasent nos mâchoires
crocs de feu agrippés au néant
nous ne verrons jamais l'exorcisme
(Paris, 27 août 1976)

***

à digérer les murailles qui nous cernent
je convoite tes visages à débattre
je maudis les occidents
les opinions sanglantes
quand l'absence des mots déguise mes silences
quand l'écriture est tout
(Paris, 30 août 1976)

***

mourir
sans conscience de blessure volontaire
négation du temps vers l'ailleurs
mourir pour le sang
pour écrire les blessures
mourir pour l'éclat d'une empreinte
pour une audace
mourir pour l'existence
mourir par amour
mourir de froid mourir seul
sans passé sans histoire
mourir sans conviction de blessure volontaire

mourir de regards fous de jeunesse
mourir d'ennui
mourir de pluie et de pleurs
comme un tambour battu
mourir comme un calvaire

visage défait
chute devant la vie
silence et lâcheté enterrés en tristesse
devant une illusion d'espoir
demain trompe l'attente
une lueur d'instant de sang germé
soudain sentie souvent violée
demain de chaînes
sacrifiant l'instant au présent
un futur négatif
au bout des doigts farouches
combattre sans compter

mourir comme un centaure
pour le fond de moi-même
mourir fou
lucidité perdue
illusion vaincue
innocent
mourir de mort lente
mourir du désir qui nous tranche

de désert et de sel mal aimé
comme un élan d'amour
mourir violé par les fusils
silences déguisés qui nous accablent
mourir sanglant
dans un débat qui nous opprime
effigie de cendre corrompue
intempérie de sang
de déraison
mourir immolé égaré

jalon détaché jeté au large
sommeil lourd refus du temps
éclat de flèche
mon regard s'abandonne au-delà des situations
faiblesse de neige noyée dans l'humeur
spectre de voix moi-même brume
fuite en avant
résolutions partielles et partiales
vaincues de grisaille
ocre jaune devant le sang
sourire pudique en forme de gisant
de marbre déchiré
je surmonte le mot et succombe à l'image
et le symbole jaillit en sacrifice

l'augure d'un tournant dans les matins
au creux des vagues décharnées du quotidien
j'examine la nuit
l'écriture n'est à personne
enterrer le futur en rire solennel
crever en funéraille maudite

aimer
confondre les symboles à l'abri de la nuit
se lever sans encombre
succomber aux magies qui nous tentent
sans joie ni offense
aimer
subjugué et nomade
dans une jungle d'accrocs et de sel divulgué
résonnement de feu qui ronge le profond
sans limite et sans loi
décompte sans frayeur
écrasé par le besoin de l'autre
jamais fêté
carapace de l'œil forgé par un regard-rimbaud
derrière les justifications
un amour de saison proscrite

élan détruit par le langage défait
doigt déchiré par le vécu
qui brise les limites dans un esprit de dire
questions interposées sur nos fragilités
derrière un regard de roche sans lumière

par-delà la certitude
désir mal aimé
visage de pèlerin
dieu globe de feu
cendre de l'origine
jeu trahi jeu folie
mal entendu
rythme de sang qui nous habite
écriture des nerfs saccadée en brûlures

glaise mortelle
étincelle volée au cycle des instants
parmi les pièges qui nous justifient
la mort comme un silence
mourir de désirer la mort

mourir sans mourir
pour ternir l'espoir de mourir
sans solitude extrême
sans brûlure de désir ou de fenêtre ouverte
chair meurtrie hachée par l'injustice
foulée par l'ombre
comme un enfer sans tache

crachés sur le monde
nous sommes autant de guillotines
ensevelies en parcelles d'histoire humaine
en souffle condamné
connaissance trompée

mourir désarmé pour mieux sentir la vie
(Paris, septembre 1976)

***

rien n'est résolu
nous avons simplement inventé les mots de nos vertiges
murés dans nos déserts
double sens de la vie qui broie tout
d'abord nous-mêmes

traqués en faiblesse initiale
presque subis
dans les jungles où nul feu ne peut prendre
nomades prédestinés repliés en fœtus
éclatés sur le temps
un paroxysme d'appels et de tendresse nous aliène
quand nos paroles se croisent et s'interposent
nés dans le sang et dans l'ombre du temps
nous dérivons à pas comptés sur un mensonge
nous sommes déjà morts
il faut pourtant se frayer un passage
vers le dernier espoir
plongés en sommeil de serpent
nous allons à l'esprit dans les tourments
le rage de vivre nous condamne
comme effigies sans idoles
que ferons-nous sans légende et sans fièvre

nous marchons
en cortège de mensonges
assassins des mots
lorsque la nuit nous appelle
nous nous vendons au monde

tout est blanc sur mon corps
tout est chair haletée et douleur hérissée
je m'expie devant vos bâtiments
on me dit diable
je suis insaisissable
fluide entre les rêves
on me dit fou
je suis racine
je sauve les regards

je suis déjà moi-même
car déjà mort

le futur est dépendance envers nous-mêmes
la mort est panique de la chair
l'amour est un miroir d'inquiétude sans sommeil
sans oubli
promesse de démon et d'infortune
je suis déjà moi-même
sans passé ni présent

ma naissance est ma mort
l'écriture est mensonge
et je suis ce mensonge
le jour engendre son crépuscule
la révolte est humaine avant d'être comprise
dieu n'est qu'hallucination
mon ventre enfante une vision
je suis déjà moi-même

en dernière circonstance
je suis hors d'atteinte
le sourire est une arme
qui cache un vertige de corde

je suis déjà moi-même
dans la litanie des mots
témoins de mes fièvres
toutes les danses et tous les désespoirs
n'entachent plus mon regard
je suis vaincu
et si demain est sans espoir
je m'accapare un présent illusoire
(Paris, octobre 1976)

***

ton ventre qui crie
je rentre dans ma peur
le reflet de ton sourire
ton sommeil est le mien

l'amour que tu me donnes
la tendresse
mon oubli qui se trouble
je me rends à ta bouche

les mots qui me trahissent
et ceux qui m'abandonnent
le refuge est en toi
qui déchires ma vie

tu me montres ton rêve
je suis à moitié fou
l'autre face de moi-même
se cache dans le sang
mais je veux ton secret

la magie qui s'infiltre
dans les creux de ma peau
tu dépasses ma nuit
et je t'en remercie

ton sang sur le mien
ta présence
j'oublie le goût des blessures
et regarde au-delà de tes yeux

tu violes mes certitudes
et deviens plus que moi-même
quand je ne sais plus rien
tu m'offres ton sourire
je t'aime sans promesse
le soleil te caresse
je t'aime sans regret
(Paris, février 1977)

© Bruno de La Perrière, 1977

Mes îles sur le comptoir

Texte paru en mars 1979 dans le second numéro de la revue Poémonde créée et dirigée par mon ami et poète Claude Herviant, hélas disparu.

pour dire ce que je ne peux pas donner. en dépit de moi-même. en désespoir de cause. arbre dans la chair ou germe dans le regard inquiet. je sais que vos regards ne peuvent pas violer. l'originel résiste à vos pièges. désespoir vaincu par la lumière. retour serein mais jamais enfant prodigue. blessure dans les paroles solitaires. début de l'humain & crépuscule de dieu. abandon de moi-même. la vie trahit un esprit sans visage. consentement au sang car c'est là que nous sommes. sur un lit de demandes non-acquises je construis un regard digne de foi. chair parmi l'ordure, occulte dans l'éclair. plus que la vie, plus qu'un débouché vers la folie, qu'est-ce ? l'aigle qui meurt. moi qui jure par l'envers. en alcool & en rêve. détour de vérité. falaise & symbole. mon image au bout des membranes du temps. hache enchevêtrée dans le silence du filet liquide, je remonte l'extase & me perds en marche forcée. poésie, masque rouge du suicide. mime des mots. ange flétri en jardins obscurs. je me raidis, fauché par l'impatience. méandre comme un christ au tropique. je suis né sans cesse mouvement, éclat de multitude échappé au néant. je m'inflige le songe & la boue. poésie fragmentaire. croissance mutilée en gerbes profanes. je m'attarde au barbelé. le sang gicle au ciel. poésie trahie par les mots. nous sommes vomis par l'escapade. pour parler il faut la lame sur ma bouche, l'encre noire sur l'attente. il faut la chair sur nos actes. au fond des certitudes nous sommes égaux. il faut des lèvres de carême, l'indifférence impossible. il faut nos vies mises en terre pour apporter des preuves. le sacre au-delà du plaisir. le linge sur la plaie. il faut le signe demeurant sur la racine du silence pour vaincre la langage & l'écriture. la tendresse pour nous déraciner de nos vengeances & de nos funérailles. le dessin des os pour atteindre l'âme. la trace des usages trahis se tait sur la bouche. derrière le regard blanc se lit le vrai regard. sans mot. l'éloge des faits étrangle le tranchant des paroles. le sang oppresse. les tortures à l'aube saisissent nos rêves. dans le temps enchevêtré, je suis mon propre appel. les doigts en sang, labourés, sans tristesse, comme une dédicace sans objet. au-delà des images les couleurs & les intelligences se mettent à parler. souvenirs effacés… être tous & un seul à la fois, plus vrai que la terre. visage éparpillé. comment mêler l'instant à la parole ? je me perds en parcelles de flèche. la chair est avide. je succombe. ma faiblesse est révélée. je suis encore nomade. traqué sur ma terre. ta race m'envahit en déserts inchangés. errance inutile ? folie saccadée de la folie sacrée. je m'écarte du temps & peux forger mon verbe. je suis sans doute capable de parler un langage fulgurant qui gémit & devient indomptable. des mots qui cicatrisent. je peux être maudit comme un enfant, plus cruel que le feu & plus blanc que la folie. je peux même trahir. peut-être pardonner. mais… j'aime la griffe du visage, l'étoffe qui mange ma direction. le geste déchiré, les mots brisés qui dénoncent & portent la nuit. le sourire sanglant qui se cache. la parole mise à nu. nous sommes le présent mis à sac. mis à mort. antique, pareillement au dieu vaincu dont le gel broie l'espoir. l'œil surmené de tant de violence. l'œil comme un labyrinthe. la chair oubliée s'acharne sur l'existence. une moitié d'instant, flamme sèche ou offrande, un refus qui pénètre ma fuite menacée. le sud est mon délire. tu peux encore m'ensorceler…

ta main blesse ma nudité. ta détresse. paroles inutiles maintenant. dans l'ombre tu dois rentrer vers ton sommeil. je retarde le mien pour trouver ton secret. des oiseaux dans tes doigts. le vide qui secoue nos larmes. ta violence contre la mienne. au prix de ton ventre je peux me perdre. mais je saurai éviter certains mots. ton rêve le plus fou, ton mot le plus beau, qu'il devienne mon espoir. ce soir j'écris la pluie. un certain désaveu de moi-même. mes perspectives se déchirent. je ne sais si je comprends. tu dois être plus profonde que le désert.

sur le sable la forme de mon corps échappe au désir
sur un écrin de résonances je croise l'instant
l'invitation aux naissances
je m'écorche à ton ongle
une prière seule peut apaiser

peut-être est-ce un jeu afin de reconnaître les siens sans indication. meurtri par ton appel sous la chaleur du sang. tu violes mes visages. tu me donnes la vie. fleur brûlée pour laver ma vie des faux-semblants & la couvrir de rythmes inconnus qui me mèneront à moi-même. apprivoiser ce regard. tes limites & ta peau. un feu commun & ton rire plus pur que je n'espère. je suis pauvre. je sens mon réveil derrière ton horizon. en bonheur non-compté. en écume de vague. mon écriture fauchée net s'affale auprès de toi. un chemin que je trace à l'amour. aride, crispé sur le regret des instants mal donnés. plus que ton âme je veux ton secret. mais mon langage est aussi pauvre que la vie. la neige disparaît sans trace ni histoire & je tente de vaincre à force de sacrifice. je trébuche sur ma propre existence.

faites ou à venir
nos folies ne démentiront pas notre lucidité
quand nous aurons épuisé la faiblesse & la peur
nous pourrons regarder le monde
d'un regard différent

sans alibi de fuite ou de violence incontrôlée, je plonge avidement où je n'ai pas ma place. je disparais au néant qui ne m'accorde rien. l'impression froide que j'échappe à moi-même. ton histoire en marge de la mienne. nul espoir pour oublier le mal qui est fait. il n'y a qu'à l'envers de la vie où nous pourrons apprendre. servitude passée au-delà des vraies paroles. avant de défaire les innocences réciproques il nous faut naviguer. fragile comme un faux pas, la volonté souvent glisse en déroute. je veux la communication parfaite. sans détour difficile. trouver le passage vers un sommet quelconque. un dernier cri dans l'avenir. un visage seul au-dessus des faiblesses & le monde est sauvé. le temps nous dénonce à nous-mêmes. feintes ou paradoxes, faux souvenirs de la mort. déchirement & haine du combat. mon abandon parfois. te rejoindre derrière l'ombre… au devant de ma chevelure : le calme perdu de mes itinéraires. sans savoir où je suis, je survis aux mouvements qui me contrarient. je sais le soleil, le ventre & la chair qui m'appellent & je ne résiste plus à cette démesure tant ressentie.

combien d'îles sur le comptoir ?

© Bruno de La Perrière, 1979

San Francisco Blues

san francisco airport. personne ici pour demander quoi que ce soit. personne pour l'attente de personne. disparition des mythes. personne donc. question nulle. qui s'éteint d'elle-même. de moi, aucune appréhension. seulement la lueur d'un écueil évité. pourriture bien loin de mes humeurs maintenant. collines. sac plein d'espoir et guitare. bardas casé dans un bus pour downtown. regards tournés et détournés. déjà. regard chaud sur moi. indien du montana. marin. navy de treasure island. retour de permission. premier contact avec san francisco. me dit où descendre. parle de sa femme, ses gosses là-bas. porterait presque mon sac. entre deux paroles : collines jaunes dénudées. highway. faubourgs. usines. docks. et là je-ne-sais-quoi, dit-il. potrero. seul laissé devant un hôpital. sans savoir où je vais. tressaillement de bonheur au fond du ventre. vingt-quatrième jusqu'à mission. mission jusqu'à market. bières sur la route pour étancher l'émotion. vingt-cinq blocks de marche légère. murs gris mais pas vraiment sales. soleil. rues presque désertes. une fille endormie sur le gazon d'un parc. ambulances très longues qui filent. grocery stores. berkeley devinée dans la brume. bay bridge en éclats de lumière. pare brises lointains qui éblouissent. nuit d'été qui tombe avec douceur sur san francisco. market street. assis sur un muret. observer ceux qui passent. ceux qui s'assoient trois minutes pas loin. à coté de moi. alcolos. freaks. junkies. ceux qui vendent. ceux qui achètent. business men encostumés. blancs pauvres ou riches. clodos. noirs. porto-ricains. chicanos. asiatiques. tous ceux qui ne font rien, n'ont jamais rien fait et ne feront jamais rien. faune de san francisco. bariolée. la seule adresse pour ce soir est à berkeley. pouce tendu. voiture qui stoppe. paroles échangées. un étudiant. bay bridge à onze heures du soir. downtown illuminé. oakland sur la droite. montée vers le haut de berkeley. thanks a lot man ! je saute. sonnette. personne. de nouveau dans la rue. air frais et pas de duvet pour dormir dans un parc. la fatigue et la bière qui montent. telegraph avenue. berkeley inn. hôtel pas cher pour étudiants fauchés et routards fatigués. il est plus de minuit. six dollars la nuit. plein les bottes. la queue de cheval du taulier hippie me guide jusqu'à ma piaule. sac jeté sur un lit déjà trop dur. et j'ai faim. en quête de nourriture. vers le campus. bistrots pleins de bruit et de rire. odeur de frites. hamburger et bière. dernières pensées de la journées. ce matin encore sur hermosa beach los angeles. avion raté. pris le suivant. pour rattraper mes bagages. tout si rapide. si sec de chaleur californienne. dernière cigarette. au milieu de la nuit brusque réveil. démangeaisons aux jambes. misère ! des cafards ! la piaule est infestée. la chasse commence. cafards qui longent les plinthes. grimpent aux murs. sur le lit. cafards partout ! escaladent même le lavabo. foutue chambre pourrie ! m'y reverront jamais… mais déjà dehors les images qui assaillent. berkeley. tour sur le campus. sandwich et café italien. bus pour san francisco. alors commence vraiment l'affût des visions…
murs vert pisseux. couvre-lit vert troué. table branlante. cosmo hotel 700 jones. sans cafards ! lumière de l'ampoule crue. 19 dollars la semaine. à 3 blocks de union square. au pied de russian hill. jones escalade nob hill. la plus grande pente. cosmo hotel indien. relents de curry jour et nuit dans les couloirs et l'escalier. clef pour entrer au milieu de la nuit. toujours un type louche à la porte qui attend. qui a paumé la sienne. veut couper aux 5 dollars d’amende. la piaule. le matin les yeux qui s’ouvrent : lumière poussiéreuse tamisée par les vieux rideaux rapés. vieille tapisserie usée déchirée salie par tant de mains. avant moi. qu’est-ce que je fous ici ? combien avant moi qui ont cauchemardé dégueulé fait l’amour rêvé de départ désespéré de quelqu’un d’eux-mêmes de tous les autres. combien qui se sont arrachés les ongles sur ces murs de leur douleur se sont pendu ont avalé somnifères amphés acide. combiens de winos de paumés de fous & de poètes. combien de welch & de kerouac. fenètre-guillotine mi ouverte. la nuit. la nuit de san francisco avec ses cris. bruits de verre brisé. sirènes. flics pompiers ambulances. longue litanie des sirènes de san francisco. tournoyantes incessantes oppressantes. toute la nuit lancinante. plafond crasseux. ne penser à rien. simplement écouter. hurlements de folie d’une fille quelque part. grincement du sommier dans la chambre de gauche. amour sans amour pour 10 dollars. jurons du mec saoul qui se cogne dans le couloir. compter les brûlures de cigarettes sur la couverture délavée. radios qui s’enchevêtrent & résonnent dans la cour. sous la douche d’étage qui manque de pression & d’eau chaude parviennent les échos de la dispute d’un couple de blacks. fils de pute ! pourri ! maquereau ! la fille gueule. claquement d’une gifle. sanglots. bruits de bagarre de meubles bousculés. le mec bat sa old lady. lui colle sa trempe hebdomadaire. & l’eau presque froide qui s’écoule en un filet de larmes à l’odeur de suicide miteux. est-ce le fond que je touche ? soul music par la lucarne. retour dans la piaule mal rincé. cannette de coors en guise de café. cigarette. regard circulaire. bougies qui ont coulé sur la table & les draps. qui éclairent mes nuits d’écriture de lecture. déguisent la chambre lépreuse en semblant de chapelle ardente. mégots de joints qui traînent. bouteilles de bière vides alignées sur le commode. le lavabo qui fuit un peu. livres empilés sur la table bancale. bukowski corso castaneda. dégotés à city lights sur columbus. offerts par ferlinghetti. vieux restes de sandwich entre aftershave & dentifrice. poèmes de la nuit collés à la cire fondue. sommeil dans la nuit de san francisco. 19 dollars la semaine plus la taxe. mais ont-ils retrouvé le corps de lew welch ?
oisiveté. totale disponibilité. ne garder que l’essentiel pour vivre l’essentiel. libre de regarder au-delà de moi-même. m’oublier. palper le pouls de san francisco. les gens. les vibrations particulières à chaque lieu. tout peut arriver à tout instant. ne jamais prévoir. attendre. toujours quelque chose à apprendre. là. ici. maintenant. toucher l’inexprimable du vécu. comme dans le regard bridé de ces vieux asiatiques de chinatown fait de silence instinctif.

© Bruno de La Perrière, 1976

Peyotl apache


devant le blanc me voici impuissant
la poésie s'épluche en oeil de pélican
sur les murs striés l'oracle brumeux des décadences
je m'accuse et ne réponds plus aux appels
mes ombres de carême et mes langues juteuses
se teintent d'inconstance
si je souris un peu trop alors c'est que je rêve
j'ai l'écho du tambourin qui me compte les jours
mes images d'enfance s'effilochent à la ronce
je marche sur un pont qui pourrit au soleil
grisaille des tâches inutiles
je ne peux formuler ma course
pourtant
j'héberge la vie sous tous ses visages travestis
je chasse farouchement tous ceux que l'on m'envoie
pour me faire regagner l'itinéraire
je m'évade chaque fois des prisons mais à quel prix
fuir sans déserter
je me sais vaincu mais le combat est émouvant
déjà l'heure de partir sans avoir rien appris vraiment
les sermons m'aveuglent par leurs intentions
les doctrines m'emprisonnent dans leurs rêves primaires
et les vautours me guettent depuis le premier jour
je ne vois pas de fin au massacre
ni de croix sur le monde
et j'apprends que chaque parole est périmée déjà
(Oklahoma, 1976)

***

je me lève et griffe l'écorce du manteau
l'oriflamme s'épand en échos
les sorciers s'interposent à mon humeur naïve
les rivages sont coquilles
les vignes grimpent à nos jambes
les jazzs telluriques éclatent aux points cardinaux
et les danseuses caraïbes montrent leurs dents

je m'émiette en atome funambule
en tornade
errance des paroles
je m'endors au levant protégé par la pierre
et par les maisons blanches
le nuit déclenche un frisson et m'avale
(Norman, Oklahoma, 1976)

***

j'obéis aux lois du levant qui régissent le soleil
un orage ne me fait pas peur
mais le signe de l'échec me brûle
aux paysages pacifiant aux crabes migrateurs
dans les endroits déserts
je trace mon symbole
solitude empourprée de mystère
plus haut que la neige je contemple un repos
je serpente me confonds avec l'herbe et la sève
je calcule ma mémoire et mon âge
le tocsin prédit de grands oiseaux égarés
un vent de sable
je suis leur trace à tous ces émigrants
nomades du sud et du levant
quand nos idoles se dévoilent épouvantails
je m'éloigne du monde

aux croyances du couchant récitant leur mensonge
je me tapis dans l'ombre
le loup est un dieu solitaire
les tornades au printemps deviennent majestueuses
plantées dans la poussière au bord des civilisations
la confusion les fausses paroles
et l'horizon perlé de tristesse
seule faute humaine la naissance
aux villes transparentes
silences des marchands
parole rendue au poète
l'apesanteur désirée
le repos attendu
ma mémoire devient dune
j'apprends le sang qui me mène au-delà
quand les désirs se perdent
quand les après-midi s'étirent en méditation
je m'enfouis pour me laver homme de terre
de chair animale
l'esprit à l'abri des temples

je récite les litanies anciennes les légendes perdues
lorsque les nuits se déchaînent
sur les villages et les navires
je songe au respect dû aux planètes

mon symbole sur le cuir des selles touareg
(Oklahoma, 1976)

***

écriture fourmillée sur ma langue
tu dénonces l'encore-à-naître

rêve formulé comme une fuite
tu annonces le déjà-vécu
(USA, 1976)

***

gravée sur le lotus l'alchimie du centre s'insurge
phénomène vital des pôles qui s'incruste à l'éclatement des serpents de paille
rotation inversée de la terre
épreuve lucide
quête des vallées interdites
les longues chaleurs et les orages s'apprivoisent à nos fatigues
écrevisse tapie dans le courant j'attends déluge et délivrance
calme mortel qui ronge nos instants
libérés du poids des certitudes
les haies disparaissent au croisement des yeux
là découvrir l'autre paysage substitué au premier
malaxé en vague salée en irruption concentrique
dispersion des sciences et des âges dans la pluie cendrée qui recouvre nos embryons
dans l'apesanteur des sons
exil solaire au-delà des perceptions et du carcan des mots
errance légendaire invincible dans le défilé rouge des songes

découvrir l'autre paysage déchiffré dans les silences
entre les silences
sur l'apparence des images
ressenti comme un apprentissage des mythologies personnelles
distance de l'origine lorsqu'un cri trouble nos attentes
les plaies jamais cicatrisées qui renaissent en fleurs
je les possède traduites en temps traversé
enfouies sous nos raisons logiques

découvrir la chair du soleil et l'ornement factice de nos vies dans la courbure du ciel
dans l'ombre d'un grand arbre
nos histoires sont écrites
géographie nouvelle de nos yeux
sismographie des langues
lorsque les équateurs se rejoignent au centre les pôles s'écartent en ligne droite

ligne du temps horizon rectiligne sans brisure écarlate en géométrie parfaite
lorsque les mers s'évaporent et que la roche fond
lorsque les insectes sont morts
lorsqu'enfin les livres sont brûlés et les hommes enchaînés à leurs génocides
gravée sur le lotus rectiligne
l'écriture tisse un destin sans brisure
(Norman, Oklahoma, 1976)

***

grand turban tombant sur la nuit
écho des flûtes sur mon inquiétude
les après-midi chaudes se plantent d'orangers
étalées aux pieds de mes légendes

l'image confuse de l'innocence
guide mon voyage
et le vent lave ces mains déjà vieillies
(USA, 1976)

***

accoudé au galet des tempêtes capricornes
au vase templier
je ne donne jamais
ardent sur le basalte
le sagittaire faussement engendré
pose sa question
sur l'autel des détentions
pacte signé avec le sept fois nommé
maître des sources gelées
(Norman, Oklahoma, 1976)

***

cloué au tronc comme chouette immolée
comme un feu de sarment
abusé par lui-même
transi en sa carapace d'ivoire
sans artères ni vertèbres
l'homme au sang de pêche
a ses désirs mort-nés
vaincu par les enchaînements
insensible aux visions transitoires
vie rythmée par l'effort et la crainte
chauve avant l'âge
mort avant l'heure ou trop tard
homme fripé maltraité
joué de cynisme historique
lèvre desséchée qui dit une soif de paix
jambes tordues par le vent
oeil triste de clown
le contrecœur en reptation
homme reptile
homme jungle
dans la crevasse du temps qui déboise
payant le prix du sacrifice
pour acheter son âme
écartelé sur la roue
de l'ambiguïté première
(Oklahoma, 1976)

***

je désempare
devant l'élan fissuré de grimaces
la femme sera fruit et non diamant
un faucon dévore l'innocence
fruit et non diamant
gercés de paniques animales
nos démons s'éveillent lentement
nos mendicités se brisent
et nous acculent
nos logiques retournées contre nous
nos morales
nous entraînent dans les haines nocturnes

la femme sera fruit jamais diamant
(Oklahoma, printemps 1976)

***

mangeant mangue crapaud sucré
après fête rituelle
coquillage fossile de mouche géante
après carême sonné
buvant couleuvre amande verte
je frotte racine contre dent
tourbe contre vent
fidèle à ma légende
tour à tour épervier
vipère et ours
sans malmener le temps
dans son col de plumes
mes vêtements tressés
de femmes inconnues

le verbe approche
ligoté comme un ver
se taire
à son odeur étrange
mâchoire molle
poil fauché
se rendre
(Oklahoma, printemps, 1976)

***

je m'assieds sur la roche la mords la grignote
à petit feu à grand faim
afin de briser ce qui somnole sur ma langue
la trébuche et la croque
pour mieux l'imaginer
la foudroie pour l'entendre gémir
la gifle et la flagelle
pour y lire le cristal
roche d'une seule âme
d'un équateur à l'autre
roche déesse
la baise sans répit
la palpe de mes langues
l'irise de braises
elle se vautre sur moi
se cabre en avant
pour me confondre
elle se sait roche et ne s'incline
roche
soudain bardée de cerceaux de boucliers
me grogne sous la chair
me chasse en javelots
crache son sang de roche tournoyante
sa queue s'abat sur l'arbre
gueule rouge fumante
gronde tel un gouffre
je me replie prépare ma défense
la voici qui s'avance
squelettique minérale
prononçant son pouvoir avec ses crocs
me hurle comme un démon
déchire mes vêtements ma peau
mais je me rends à elle
la déesse s'apaise se dégonfle
commence à m'entourer
me caresse
et me prend pour amant

amour avec la roche
qui se transforme en eau
inquiétante pénétrante
enlaçant mon corps
en elle je m'enfuis
y parcours mon extrême
ma force vaincue
perdu en elle dans son entraille
je glisse
serpente dans ses veines
englouti je ne suis rien
ruisselante sur mes pores
et mon sexe
jamais humide mais chaude
je suis débris sanglant rongé
huile chaude claquement froid
rafale liquide cinglant le dos
pluie carnassière et sans tendresse
pluie croisée depuis toujours
gangrène des humeurs
pluie au soleil
baptisante lavant nos craintes
nourricière abreuvante
si nécessairement vitale
circulant dans les chairs
dans l'âme
eau qui empêche la peau
de se parcheminer
eau de soif
eau de glace
apaisant nos bouches brûlantes

l'eau devient neige

craquelée
mousse vierge à goût d'azur
neige
étalée vibrante à l'air
bleue

mouillante salivante
jamais humide
neige de sel et de corail
repos neutre des passions
se tassant sous l'épaule
avec un bruit unique
muant sa peau avec ses mille yeux
qui fourmillent
avec sa calotte sa chevelure
repose hors du temps
ne fond pas mais se fond à la roche
plus roche chaque jour
jusqu'à être dure insensible
granit schiste
glacier de lave
coulée de matière
roche nue
victorieuse
(Oklahoma, avril 1976)

***

j'inscrit le temps dans son carcan
le convertis en sable
le capture à l'envers
le déforme à l'endroit
temps
cerceau du temps
instant
possédé par l'oreille et le vent
temps-attente pesant
temps-action piégé latent
temps césure de vision et de sang

j'inscris le temps dans sa mémoire
l'environne de croix dénudées
le dessine avec des cornes
mémoire de temps
mordant la peau
temps maudit
cadavre sur mon dos

temps pharisien
sans exception
cosa nostra du temps
agrippé aux mâchoires
larme de nuit blanche
grignotant l'âme
temps longue pluie
qui tord l'échine
me fouette le rire hors du sang
mauvais temps

temps sphinx primaire
à tête de taureau de néant
grand lieu de nos errances
solitaire aux étapes
aux heures de carnaval
silhouette grinçante
à tête aveugle de serpent

je suis le temps à la trace
mordant sa queue
crépitant de folie
flamme hors du temps
taureau baveux
étouffé par le temps

temps suicide
trace effacée par le vent
crapaud araignée noire
mort du temps
et de la mort
à temps
(Oklahoma, printemps 1976)

***

passé le recours aux offrandes
j'abandonne espoir de fleurir
lourdeur on ne sait d'où venue
qui tangue sur mon attente
sur la parole d'autrui
se grise de sens inutile
encombre l'âme et l'ombre
damnées sur l'enclume
d'un soir sans lune
cris de poissons
inquiétudes
dans le respect des orages
et des brumes

ce soir seul au vent
je médite un cadeau
sur un olympe dénudé
visage impie refusant le soleil
qui me tente aux autels
je crois aux éthiopiens osseux
qui me croquent en vergogne
me soulagent en innocence
j'erre sur les plateaux
y imprègne mon rêve
mon image lavée
s'insurge au chien chassé
je suis amande séchée
moi-même offrande
je suis peau de bétail
commencement
éclat de dialecte
je suis trophée
tribut sur le pressoir
révolte des rythmes
ici s'épanouit mon délire
d'abord le sable oscille
puis étouffe sur l'angoisse
on ne sait d'où venue
mais rentrée au bercail
des fortunes faisandées
angoisse trépassée
qui obéit aux heures

marée d'équinoxe
mon zodiac s'achève
aux quatre coins du soir
je m'évacue sans peine
plein d'outrage oublié
sans signification
se lever
annoncer la vérité
aumône de berger
danse
essence chaude du sang
le vent secoue les perceptions
les croyances
je constate l'hommage
m'écarte des violences
efface ma conviction
démons séquestrés
sceau interposé
oeil tranché qui succombe
(Oklahoma, avril 1976)

***

je m'obstine aux visions
aux pressentiments de poussière
serait-il trop difficile de dire
le départ au creux du brasier
trouvé comme une épave
séché par la terre
mémoire de mes yeux
qui déroulent arbres et visages
quand l'herbe me prendra jusqu'aux racines
je traverserai la mort
(Oklahoma, 16 avril 1976)

***

sous l'encre tropicale
ranimer les légendes
parjure en ma demeure
je questionne mon ombre
l'indien prête son oeil
aux encres tropicales
ma légende se cabre
comme un mustang perdu
(Oklahoma, 17 avril 1976)

***

au centre de l'image
comme un centaure séché
entre deux pages de glace
je suis liquide
torpeur brouillée
après-midi désert
de silhouettes entrevues

je m'instaure un silence
cheminant dans l'index
qui contrôle mon rythme
que faisons-nous
derrière ces paravents
ces barbes de juif errant

je me défends
me forge au matin
un tonneau tressé de sagesse
comme une hutte
osier cheyenne
dessin secret
croisement d'un destin
printemps absent dans le regard des femmes
et dans le lointain
échos de cataclysmes

je m'écarte du cercle
tracé sur le ciel
crépi sur les façades
enlacé aux regards
je fréquente les caves
les endroits sombres
car aveugles nous sommes
et dans l'écriture où plaçons-nous nos légendes
et sur la carte du sable
où lisons-nous nos larmes

à l'orée de moi-même
sans atteindre l'image
torpeur brouillée
qui s'enchevêtre au sang
me tenaille tenace l'entraille
comme un souffle fragile
et se brise

nulle image
seulement l'ombre d'une image
(Oklahoma, 19 avril 1976)

***

j'exulte sur l'ombre chaude des teepees
tempête équestre
transparence dans l'accalmie des flèches
me hisse sur l'octave
témoignage d'humain
effacé sur la pierre
qui s'éclaire aux orages
je rayonne de regrets écartelés

démenti par le temps
désarmé en désarroi
je trace sur le sable
mon pouvoir et ma fin
brindilles de visions déjà perdues
je me construis un continent
à la mesure de mon regard
pour y fonder mon voyage
(Oklahoma, 2 mai 1976)

***

tempêtes de croyances
vertige du temps qui fourbit ses yeux
épargnant la vengeance
la faiblesse incrédule
comme un pilate
je lave les mains du temps
pour mieux le mettre à ma portée
russian hill recèle les mystères de ginsberg peut-être
ne recèle rien ne cache rien
que mes sens engourdis dans l'objectif

poète cherchant son nom
(San Francisco, mai 1976)

***

mon oeil posé sur une végétation savante
moi qui ne suis que le reflet d'un autre
cramponne mes fausses certitudes et mes instincts
pour n'aboutir qu'aux négations parfaites

comme une nuit sans sommeil
mon oeil s'anime en savoir mystérieux
mais nul ne peux dire
quelle est mon histoire

sans savoir et sans voir
je fouette mes armes bonnes à rien
je parcours un chemin
ongle posé sur le papier

comme un fauve en désir
j'épie autour de moi
force mon oeil à prendre
je ne mange que la viande
trouvée près des prisons
(San Francisco, mai 1976)

***

feu d'algue séchée
élémentaire et source de puissance
ombre rouge qui trahit
mon destin est au sud

de pierre et d'herbe
sans pouvoir
mon voyage est indien
tropique sous mon pied
quechua
devin qui transpire
(San Francisco, 30 mai 1976)

***

dessin aztèque mon visage-océan
tel un dessin aztèque
transmis par la foudre
ma voix s'étale sur la cendre
et sur le parchemin

si longtemps que je n'avais dit mot
secret percé malgré cette araignée gravée au sang
aigle solaire jamais sanglant

lasse des fardeaux ici mon image
neige fanée
la mer déroule son pourparler avec le sable
implication des mots
parole
je croiserai ma mort sur le chemin du sommet
je tendrai mon doigt comme lame qui tranche
mère de nos craintes

comme un dessin aztèque
comme un craquement trouble
afin de prouver que tout était su
le mensonge au rendez-vous

l'indifférence n'est que la défiance
d'un regard qui perce jusqu'à l'indifférence
(San Francisco, 30 mai 1976)

***

vague d'incompréhension
menée au large par mon trouble
je récite et trace sur la chair
l'équinoxe-embryon

un jour comme un chat
la ville s'écorche sur mes insomnies
je lis ma ligne de péché sur le schéma des réticences
la marée monte et la vie ne sait pas nager
(San Francisco, 1er juin 1976)

***

mon âme battue sur l'évidence
fragile récif verbe vibrant
béatitude fondant en funéraille
au grand jour pour dénoncer l'annonce du temps
l'aigle haut placé au sortir de l'existence

l'inévitable craquement des murs du spirituel
se romp en nappes obscures devant l'imagination
au-delà de l'aveuglement
en-decà de l'absurde
(San Francisco, 13 juin 1976)

© Bruno de La Perrière, 1976

Apocalypses noires

lorsque l'apparence des choses ressemble à ma folie mon frère est proche dans l'orage germe dans l'écorce du temps le prodige s'orne de serpents écarlates afin de transmettre sa magie quel est celui qui ne souffre pas un moment de folie

le vent pèse sur les cadavres et mon rire est plus triste que vos silences dictés par la peur car il est vrai que vous avez peur vos âmes tremblent devant le vide vos yeux se terrent quand l'or se distille en fragments d'histoire jusqu'au jour où je briserai votre main dans sa gangue

j'annonce le commencement de toute chose dans la promesse de la mort à vos yeux si remplis de présent fantasmes étirés dans l'ennui de vos cranes mes voyages pleins de silences cachés naviguent au-delà des illusions vos regards sont aveugles

regards pleins de pitié dont je devine les armes froides et les formules impures regards pleins de soleil comme je voudrais les offrir à la lune quand la saison se tait en éclipse obsession de vos mâchoires qui ruminent les mots en image de mort

j'entre dans le temps des apocalypses noires

***

au bout de l'esprit un charnier où s'empilent visages et folie
au bout de la folie mon regard où s'écrivent l'abandon et la peur
mon futur enseveli par les visions
au bout des visions chaque homme pris au piège
mes questions bues et les mots qui ne signifient plus rien
les visages les visions et les questions acides qui s'entrechoquent
plus bas que l'enfer mon visage grimace
plus bas que moi-même ma folie se tord en griffes de paranoïa
j'étais oiseau planant dans tes yeux
mais l'homme rôdait autour des larmes et effaçait mon jeu
plus bas que l'inconscient l'homme englouti par le chaos
les vignes bleuissent lorsque le ciment noie mon voyage
plus loin que le sang l'innocence dévoilée aux rêves se torture
plus loin que la chair l'absence récite sa litanie

***

j'ai nommé l'eau pour atteindre ma dissolution finale au ventre de la terre
plus violent que ma bouche vient le signe d'une journée torride et vertigineuse
plus violent qu'un sang bouilli le désespoir enfermé dans les regards
je n'ai pas besoin des lignes des mains pour savoir que nul ne sait qui il est
plus maudit que moi-même un cri traverse les images pour annoncer l'enfer
mais nul ne touche à la hache

***

la pluie me lit son rituel de mort renversée sur les montagnes
et les arbres émigrent au nord
je deviens une autre ombre condamné aux paroles
les poissons m'accusent de violer sang et trésor
crânes fourmis et chairs déchirées par les mots
crapauds sur les légendes qui crachent leur asphyxie
sur la marée éloges morbides qui se terrent dans des volcans de cire
le chien fou entre dans le feu et rencontre l'araignée
roche rouge qui a mon visage

***

la lumière fut sur toute chose et le feu dévora les paroles
le sang et l'encre noyèrent nos désirs dans le miel qui coulait des blessures
dieu fut sur toute chose et la glace parvint au terme de son évidence
sur toute chose furent l'herbe l'aromate et la vigne
quand les mers achevèrent leur mutation
les femmes stériles enfantèrent
l'arbre donna ses figues et des parfums de ruisseau
la soif fut sur toute chose prête à pardonner la trahison du coq
le fleuve se mêla aux horizons de la pensée
la prairie aux huttes de terre
l'or s'infiltra dans les grottes des continents en liberté
et ma main fut sur toute chose

mais l'animal enterra sa légende sous les galets
dans l'alphabet des astres
des forteresses de paille sortirent des formules de magie
de la fourmi rouge naquit l'horreur des laves perdues
au fond des algues les enfants carnivores devinèrent leur passé
l'œil des reptiles fut castré

l'ombre des ossuaires étranglaient nos naissances
et le néant fut sur toute chose

***

seul face aux pluies qui délivrent des sorts
j'erre sur les tempêtes qui méditent
et j'erre sur les planètes

peu importe qui reflète mes secrets qui emporte mes paroles mais lorsque les couleurs de ma vie se changent en reptiles c'est signe que le désir disparaît
un frère vint au bord du monde et désigna mon père afin que se montre le destin des hommes
sur une face du soleil le sagittaire qui abolit la mort écrivit l'avenir et mon imaginaire se décanta dans le refus

quand l'illusion des choses et vos raisonnements dérivent vers les pays perdus de vos nuits vides mes nuits pleines de songes rougeoient de promesses et de sang caressant l'avenir

l'herbe coupée dévoile son identité à l'intemporel

alors seulement puis-je retourner vers ce souvenir si fragile de la vie

***

soleil noir et calvaire
pris sur l'éternité enfouis dans le sable
prières composées par l'herbe des défaites
gouttes de blessures
ma légende s'enchevêtre jusqu'au sang
et creuse un sacrifice à la chair
le silence remue en révolte musculaire
dessine un alphabet à l'ombre des huttes
les dents bataillent en larmes de savane
et de secret rocheux

***

les mensonges de l'existence sont assis aux portes des caves comme des chiens
les révoltes s'agenouillent devant la plaie des édifices
et le refus de parler suce l'eau dans nos ventres
sous un masque de terre morte geignent les fourmis
j'ai vu vos yeux de gangrène percés d'intolérance se jouer de mes poignards
j'ai vu mon sang rentrer en terre mes mains s'évaporer
j'ai vu ma peau se hérisser d'épines et ma chevelure changée en lave
j'ai vu vos cadavres au bord des autoroutes
vos scalps aux comptoirs
vos sexes collés aux vitrines
mais jamais votre amour déposé sur la neige

***

silence des caravanes dans mes croyances
un espace où tout s'étire
sans commencement ni fin depuis des millénaires
les rythmes à mon image
enchevêtrés en gestation de terre aveugle
une poussière ultime donnée aux puissances du vent
aux ruses d'un combat singulier
routes obsédantes survécues au sommeil
rencontre du convoi funèbre
et des vautours qui sont des paradoxes
statues ébullitions suspendues au flux des marées
ne sont que simulacre
je m'évanouis dans la course du centaure
ensorcelé par le jeu vertigineux de la folie

apocalypse des substances
engendrant des murmures de chiens errant pelés
au milieu de l'eau pétrifiée
l'oignon sanglant posé sur le cercueil dissimule l'horizon
et parcourt la surface de sa propre trace
reflet de soi sans cesse multiplié par ma silhouette
le sillage de ma voix se fissure sous l'orage qui vacille

l'imminence d'un présage s'approprie mon esprit
je glisse enfin dans l'outre-monde

***

un jour fut où ma chair avait fui mon âme
mais je dénie le jour où ils liront en moi
mes yeux de feu mes rêves de folie
dans vos yeux je peux dire la mort
le regret d'être né
j'ai visité des lieux où nul ne peut parler de sang
et je disais des mots rouges

***

crispé dans ma bouche
le mot s'éteint devant la fuite
moi-même comme un rire
je suis cercueil
formule négative dans son orgueil
la mort est sur mes mains
j'entreprends le voyage
aux portes ouvertes de mon sang
qu'importe si je ne reviens pas
je ne peux échapper à ma légende

***

je suis au monde comme un chien en quête d'os
les archanges du sud dessinent mes regards sur le fleuve
nul ne trouble mon image
lorsque le vent hurle des noms infatigables
et mes dents sont aveugles

sur vos chairs
vous qui ne savez pas
en quête d'eau la mort s'invente

***

lorsque ma chair se tord en fœtus
je fais un vœu prononcé au nom du néant
afin d'aller toujours plus loin je bois un philtre
pour condamner le royaume perdu

***

je nais de la nuit lorsque les araignées font l'amour
sur mon désert de sel je croise mon reflet
qui s'évapore dans l'offre d'un charme
le monde s'infiltre dans mon sperme
et j'ai besoin de toi pour voir le sexe de la nuit

***

dans l'haleine des femmes vierges
un signe de mort
je ne suis qu'écailles perlées de sang
personne ne devrait écouter mes paroles
car elles détruisent les âmes
avertissement des plantes
qui grimpent à mon cerveau
et s'enchevêtrent à la folie

***

violence qui dévore le pain de sueur
les squelettes de chats mentent des images de sang
moi que suis-je au milieu des serments et des mots agonisant
dans mes yeux éteints
croupit une voix qui traque mes vérités

***

tristesse au fond des mains qui se tendent
sur les seins qui se meurent
faims qui débordent au-delà de la fin
ennui qui fermente le sang

***

huit saisons transmuent le passé en futur
nu dans la roche le sceptre s'incline
pour transmettre un langage à ceux qui luttent pour l'homme par toute latitude

le sang brise les chaînes
la chair écarte les présages
et dans mes yeux jaillit une épée sanglante

© Bruno de La Perrière, 1974 (?)

L'Amour et le Temps


Equinoxes de l'amour

voici que vint un vent porteur de neige
pour enterrer ma mémoire en un cerisier
tu dispersas la paille sur mon visage
et sur l'écorce des prairies
je lisais ton attente
mais il n'y eut que le silence d'un vin fragile
enfant sur la grève
tu traças la silhouette verte de la mer
pour y confier quel secret
les cimetières de braises parlèrent une noce
et le germe du blé célébrait mon silence
tu fis cuire un poisson une olive dans la hutte
puis vint l'été qui menaça la falaise
je plaçai une parure d'algues sur tes seins

la pluie m'offrit ta confiance
et lorsque je partis jusqu'au fleuve
tu pleuras
mais j'attendais la nuit
pour t'initier aux rites de l'ivoire
les épaves grincèrent
le gel sécha sur l'herbe
et huit saisons d'exorcisme prirent fin
tu parlas dans un verger
inventas un charme
pour identifier la mutation
et l'union effaça l'hiver sur le sable
puis je nommai ta langue

voici que vint l'augure qui trancha la parole
les rites inscrits sur l'herbage
dénouèrent tes secrets de leur folie
mais j'attendais la nuit
pour ne faire plus qu'un
au jour les signes te devinrent nouveaux
et tu fus en moi
et ton sommeil répandit une saveur de craie
que la craie devienne ma soif
que ton langage s'interpose
sur le revers du monde

mais bientôt la marée enseignée se retira
tu découvris les limites de l'orage
que le sel fermente les sables
et je pourrais prévoir les songes que tu inversais
tel un grillon
mon histoire se voilait de chiendent
que le silence se brise d'une pensée
et que la parole renaisse
intacte dans la brume
par l'accueil d'une joie

lorsque sur toi se fit un signe
j'évitais d'enjamber le cyprès mort
et les luzernes me désignèrent
celui qui transmue le sortilège
de ce jour le lin et la vigne
te furent sacrés en un lien
je nommai l'orme et la glaise
qui transhumaient
je t'offris un paysage
où les cimes aussi se taisaient
cela survint quand les pluies
traversèrent les garrigues
et tu solidifias les os
et dessinas la neige
j'évoquais les promesses que tu cachais
tes peupliers
tes fantômes de myrte

je muais ton chant sur le caractère des arbres
et plus haut l'alpage rougit
je savais des plaintes et des fourmis qui mentaient
la terre durcit de nouveau
et rien n'avait encore permis d'inventer un langage
nous restions des jours à regarder la mer et les forêts
où se passaient des choses étranges
il y eut ensuite l'apparition de la peur

qu'ici s'écrive ma naissance
et s'écrive la mémoire enterrée
les sentiers les oliviers
et toute chose vécue qui veillait les eaux
celui qui ne fut pas et pourtant m'apprit le silence
les herbes hautes qui cachaient les murs de pierre
et ces jeux dans les pins
qu'ici tu saches ce qui fut antérieur

lorsque tu mourus
une marée t'emporta
et mesura la force du silence

***

je serai le silence
mort de trop d'amour
quand les villes croulent sous les soleils de tes yeux
j'incarne uniquement ce que nul n'a jamais vu
comme un herbe sèche
la cérémonie s'évapore dans ton ombre
le temps de sable s'écoule
j'exorcise ton regard et ta bouche
je suis le vent
je suis le tourbillon qui t'emporte vers moi
sexe disparu
race morte
je te redonne ma vie
je deviens
je dédouble ton esprit
je suis lézard

***

je t'aime et j'écris pour ta bouche
quand le palmier sera sec
j'écris pour ta peau qui est ville lointaine
j'écris pour tes yeux quand l'absence est fragile
sur l'aurore d'un sourire
je parle pour ton sexe
quand le soleil te désire

ton visage est brumeux
et l'oubli impossible
quand mon sourire s'efface
je t'aime
dans mon blues qui franchit les distances

***

pourpres comme l'inconscient
tes yeux longtemps sculptés

je suis changeant comme l'eau
irrespect des choses dues
larme de sel sur le sable
marées et pluies
revenues pour l'hiver
sur la terre asséchée

je ne suis rien
il me faut un prétexte
un sourire un silence
puis l'alarme des mots récités par les vagues

ici je repose seul
où l'autre n'existes pas
à l'aube des heures
réapprises en toi

je repose là-bas
ton visage retrouvé un instant
autre rêve de naissance

pourvu de ta bouche
irradié de mon oeil
le vent gèle le peuplier
je retourne vers ta naissance
pour y déposer un serment
un cri déchire tes seins de ses dents

retour vers l'instant d'où tout naît
mon langage traduit une magie
le poète aime les mots
jusqu'à ce que rien ne puisse plus l'inquiéter
les voix que j'entends iront vers ton ventre
l'oubli peut venir déchirer ma chair
mais rien ne peut violer mon secret
par le poisson et par le bois
l'amour me sacre
repli de sable
initié par l'ombre
amour et renaissance

***

les tornades mangèrent nos fruits et nos yeux
l'eau pénétra dans ta bouche
il se fit un silence à fondre la roche
et ton ventre cria la douleur

je t'attends depuis le début des saisons
j'étais corbeau jetant des sorts aux marins
ta bouche est mienne
jusqu'aux éclipses de septembre

la pluie revient
jaune comme le temps qui se fige
je suis miroir et mémoire
mon langage s'efface devant ton visage
les poètes mangent nos paroles
nos regards se videront
avant les éclipses de septembre
désormais ne sera plus qu'un ventre vide

***

Chanson du Temps
fuite incisive du temps
fuite des yeux et de la peau
tu cesses d'exister ici
pour mourir là-bas
tu es
je suis
le temps
fuite perpétuelle vers la fin

sur le dessin de ton ventre
miroir
je me vois naître
les ossements
sont victimes de mes mémoires
je désigne ta bouche
je trouve ton sang
regard
parcelle de mot
parole criée vers le Temps

feu de sang sur l'herbe absente
accrochée au rivage des cils
tu es dans mes veines
amour
le temps vaincra chaque vie

meurent les poètes
crient tes yeux et leurs chuchotements
je ne reviendrai pas
où le temps a passé

vertige du Temps
tourbillon écoulé par le sang
l'arbre meurt
et seul demeure dans mes veines
le vertige du Temps

***

telle une offrande de vin
je te promets un pardon
vertige bleu fait de songes

je te sacrifie une solitude
un regard baigné de sel
et tu deviens l'innocence du sommeil
l'absence du passé

***

tu hantes ma naissance
comme un reptile
je te devinais déjà au fond des nuits
peuplée de mots
tel un labyrinthe entrevu
tu vins avec un rameau
une couronne
tu apaisas l'angoisse de mes mains
quand le soleil ne disait plus d'oracle

***

j'ai vécu les mille paroles de ton corps
si je mourais demain
une larme de vin demanderait ta grâce
je t'initierai au dernier silence
des vagues de vent courront sur le sable de ta peau
ma bouche mourra sur ta bouche
j'ai bien fini d'écrire la boue des grands fleuves
j'irai engendrer les mots que tu respires
enfant
j'enfanterai des siècles d'aventure
la pluie t'offrira des paysages de mer
j'aurai lu ton visage comme le Mot
je me rends à l'inconnu qui se déchire
au-delà de tes yeux où plonge la neige abolie

***

j'invente un jeu
pour confondre ton absence
je promets un aveu
pour éviter ta distance
tes yeux nécessaires
pour oublier la pluie
je mime des prières
pour avoir ton sourire
je suis ton œil sur l'eau
la règle du feu
aux mille larmes de ton ventre
quand l'enfant vient de naître
je suis l'amour
revu à l'envers des choses de l'amour
mes mains pleines de sang
crient des minutes perdues
je suis seul parmi les funérailles
je t'aime
et je suis un ours mort

***

sur les herbages je déchiffre ton visage
tel un clocher
sur la glace je devine ton rire
afin de conjurer l'attente
et d'être plus rapide que le temps
sur les tissus j'invente tes yeux
pour voir plus loin que la mort
sur les pages écrites
je lis ta vie antérieure
ta naissance et ton sang

je suis pâle
et mon sourire disparaît au fond de ta bouche
j'écris mon langage
pour que sur mon silence
tu entendes l'écho du vent

***

il est des jours où même sur tes yeux
ne naît plus mon image
qui suis-je quand je ne sais plus rien
nul ne pourra dire mon visage
et mon futur

les oiseaux solitaires sont reflets dans le ciel

demain j'irai me pencher sur vos tombes et mourir un peu comme chaque minute me le demande je dirai vos yeux vos bouches et la folie qui hante mes mains le feu qui consume ma chair le cri qui déchire mes jambes et tout sera pire que la veille
ainsi de suite jusqu'à la fin

et si je n'ai plus rien à dire je pourrais toujours faire parler mon silence qui sera plus triste encore je métamorphoserai un matin pluvieux je trancherai mes liens libre de chercher encore et toujours ce qui est introuvable

dans la genèse des crustacés
sur l'écorce des fourrures
j'attends le cri mortel
qui délivrera mon sommeil
là-bas
les feux de paille parlent un langage inversé
j'attends
là-bas
les feux sont vents
et ma peau devine
ce qui est et n'est pas
derrière l'horizon

je dirai un jour
pourquoi je suis mort

***

Navidad
sur le bois
l'ombre du cri malmené par l'ongle
et sur ta peau
l'héritage des laines endormi par le rire
mourir un jour
et retrouver les promesses déjà vécues
vie antérieure
chaque minute traîne un sillon de toi-même
demain se travestit en rêve
et l'écho du temps trahit ton image
tu questionnes les yeux
pour apprendre le désir
le temps change ta mémoire en résidu de marbre
parole donnée pour des visions qui baignent
au-delà de l'esprit
je dessine un portrait de ton corps
attendre demain quand meurt aujourd'hui
apporter les réponses aux corbeaux de nos âmes
au-delà du végétal se perpétue notre ombre
l'amour se perd au fond de la folie
appel du poème que tu fermes sur le monde
je graverai l'envers des choses
pour que la condition du feu devienne acide
pour que ta bouche soit parfum de transparence
au-delà du sexe chanté dans les oublis

lorsqu'enfin tout est deviné
divulgué sur l'entre-mémoire
aux rives d'une ville
nous cherchons les couleurs de nos regards
parmi les illusions
car tout naquit de l'amour
et nul ne mourut étranger
aux éclipses de l'amour
sur le cheveu et sur l'histoire
j'écris ton énigme
perdu en ton refus
renaissant sur les pleurs
car rien ne fut hors de l'amour
qui ne fût compris dans l'ombre de tes mots
sur le bois autant que sur tes lèvres
sur le dessein de tes rêves
dans le contour de nos enfances
et si nul ne déchiffre le sens
enfanté par ta bouche
et les mystères de ta divination
vient l'heure où tout se mêle à ton sang
afin de brûler une voile de feuillage
qui surprend notre passé
vient le reptile
qui s'érige en symbole d'amour
quand s'épuise l'esprit

malgré l'aveugle langage
le souffle des formules
s'éteint dans ta magie
pour suivre l'évidence des minutes
consécration d'une marée
où l'amour se confond
parmi les choses non sues
le renouveau d'instants enfouis
au sommet des fièvres
et retrouvés au plus bas de ton secret
ne sait plus réclamer le silence
le sommeil ressenti après l'acte
ne peut effacer ce qui fut précédent
ta peau
promesse d'éternité
demeure imprimée dans mon crépuscule
je t'enseigne un langage
et tu dévoiles ta racine
plus profonde que mon nerf
comme une ancre fendue par la vague
et demain tarde
alors que demain est déjà un regret
peuplé de papillons morts
explosant aux horizons de nos voyages
comme un meurtre exempté de sang
mais sans l'oubli de nos âges
alors sur l'encre diluée de ma main
renaît l'adoration des signes
écoutés par la brume
j'entends ton horreur de la fin
ton oubli interdit

lorsque la pluie invente un sens nouveau
à mon visage noyé dans ton sexe
tout change lorsque l'aveu
se fait écho d'image sanglante
plus blanche que le tissu de nos paroles
revécues à travers l'innocence du sommeil
incantée par ton sortilège
plus perdue que la neige
et moins aimée que ta peau
sang inanimé
folie de pouvoir te perdre
quand nul ne peut prononcer
le nom de ma mort
seul après le temps où tout fut si clair
et si confondu
sans faute ni remord
après le temps
où TU fus
(Valladolid, Noël 1973)

***

plus sombre que ton ombre
fut la vision des choses
les formes différentes
entrevues au détour des humeurs changeantes
l'eau de tes yeux cachée au-delà du regard
je refusai le sommeil comme une tromperie
mais le langage des mains s'imposa
au murmure de l'après-vie
comme un heurt de roche rouge
tu fus le commencement de la conscience
la vie ne s'interrompt jamais
mais tu en fis un repos

***

faire durer le temps afin que nul ne sache plus
ce qui ne dure pas
lorsque tu cherches mes yeux sans lendemain
lorsque la liberté s'avère si lointaine
je remplis mon regard de mémoires
foulées aux pieds par la distance
et lorsque le départ approche
jusqu'à devenir la peur
je prie pour qu'apparaisse ton visage
danse bleue
ton ventre pendant l'amour
dans les lointains nous réveillerons d'anciennes légendes
renaissantes en ta chair
identifiées aux roches
nous rêverons
de celui qui a pouvoir sur le temps
après l'orgasme
quand une faim secrète s'insinue dans nos sommeils
ton visage et ta peau sont chant de pierre
composé sur les mystères de nos absences
mais aujourd'hui est veille de séparation
et ma bouche invoque une pitié
afin que les larmes sèchent avant le printemps

là-bas se fait identique à ici
au nord
mon visage et ma vie
sans nul recours
attendent un signe d'espérance
incertitude et impatience
sont signe de folie
mais que vienne le temps
où l'attente sera morte
car ton visage est muet
et j'appréhende ton silence

***

le cercle des existences tourne et nul ne voit l'amour où il n'est pas mais je veux deviner le repère de nos langues quand je ne sais plus écrire ton nom

naît un mythe lorsque ton visage et tout ce qui te sacre toi-même est revu au travers des brumes de l'absence et lorsque ces envies de pleurs et de destruction peignent un paysage de mort

qu'importe si les mots s'écrivent pour d'autres mots quand tu incarnes le crépuscule et l'aube si le sommeil m'emporte jusqu'à demain et que demain se révèle un sacrifice si mes mains trahissent un désordre de folie

comment puis-je résoudre le temps pour qu'il efface son essence
et soit exempt de larmes
est-ce en priant je t'aime
est-ce en brisant ma vie promise à quel destin
comment puis-je mettre à mort l'écho d'une promesse
si promettre est tromper si tromper est mourir
si tu ne viens pas à moi si tu retardes l'évidence de nos désirs

***

sur l'anneau perdu
des questions qui se posent
s'interpose
la semaille initiale
sur la prière de riz
s'interroge
mon hémisphère de flamme
le temps perdu
n'appartient qu'à celui
qui pose sa main
sur le revers du monde

***

charmeur de serpent
vêtu de son espoir
fœtus de paille
enseveli dans la tourbe
je perce le temps du suicide
sous sa carapace de viande pourrie

dans les aveux de ta bouche
je reconnais la vérité du silence
qui signifie plus que les paroles

le temps tout puissant
mais déjà vaincu par lui-même
agonise malgré les vieillissements

dans tes yeux
une éternité
une victoire
le sang charrie la défaite des minutes de sel
nous remontons ensemble
vers ce qui fut bien avant la naissance

***

lorsque les métamorphoses s'achèvent au-delà des naufrages
l'eau donne son rituel pour effacer le temps
la noce imaginaire s'installe en un royaume

et ton visage s'impose comme un viol
tes yeux d'épiphanie reflètent ma naissance
la quête d'une heure d'éternité blotti dans ta chair

***

après les enterrements qui s'extasient
en exorcisme
des spectres de martyrs assassinent
la dimension du non-moi

***

moi
sur le monde
laissé par une marée vierge
au-delà de la conscience des choses

***

le vent gela trois blessures sur ma chair
méditations
et sur ta peau vint le sel de l'été
qui sculpta trois blessures

***

ton sang fusé sur l'or
dans le pluriel des temps
ton ventre bleu
engendrent l'oubli des orages

***

écrit entre tes jambes et gravé dans la chair
dans la pierre des genèses en exorcismes de terre
mon sexe déchire l'oubli des lointains que rien ne peut taire
accroché aux rivages des nerfs

écrit entre tes jambes par l'amour déchiré
mon sexe arrache des lambeaux de mort
enfouis plus profond que la chair
sur ton ventre offert comme une vérité
sur tes seins brûlés par le désir de conjurer le sort
morsures de solitude arrachées au sacrifice primaire
paroles agonisantes jetées
tournées vers la conscience des corps
comme au premier jour de l'hiver

mon sexe s'enfonce jusqu'au sang pour trouver son essence
et ton sang sa naissance
chemine dans ta bouche qui dit sa jouissance
images obscures de feu folie élémentaire sans absence
dans l'extase des secondes de glace sculptées sur ta présence
puis au bout de sa course s'interroge sur l'oracle du silence
officie son rituel et proscrit la mort et la démence

en toi je réapprends la beauté des promesses faites
en dépit des tempêtes
tes mains agrippées à mes lambeaux de vie
griffent l'acier des oppressions quotidiennes
un enchevêtrement de liquides et d'envie
déchire nos ventres nos espoirs et nos haleines

écrit entre tes jambes comme le destin
enroulés pour ne faire plus qu'un
nous saluons une dernière fois tout ce qui fut Avant
et nous recommençons pour que ton cri masque les encerclements

plus tard lorsque le chiffre devient illusoire
lorsque des millions d'années ont éteint tout espoir
nous entrons dans le regard de l'autre pour y déchiffrer
ce qui s'est déjà peint des couleurs du passé

© Bruno de La Perrière, 1973